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SIDOINE APOLLINAIRE.

Dans ses lettres, on remarque souvent la même prudence ; sans cesse il s’interrompt par une réticence craintive ; il se sert d’expressions énigmatiques. Il ne s’explique pas sur les personnes dont il parle, il ne nomme pas ceux qu’il accuse. Le sentiment qu’éprouvaient Sidoine, et en général les hommes de lettres, pour les barbares, se résume admirablement dans cette phrase. « Nous nous moquons d’eux, nous les méprisons et nous les craignons. »

Pourtant, il faut le dire, de même que dans l’histoire de sa vie nous l’avons vu s’élever par le sentiment de sa position d’évêque à une certaine hauteur d’énergie et de patriotisme, de même, après ses louanges à Théoderic, ses petits vers galans à Ragnhilde, ses railleries tremblantes sur ces grands barbares de sept pieds, qui lui font tant de peur, il lui est arrivé une fois de s’exprimer avec vigueur et liberté. En présence de la désolation du pays, et principalement des maux qui affligent l’église, des prêtres massacrés, de la foi qui s’éteint, de la tradition orthodoxe qui se perd, l’ame de Sidoine, naturellement peu disposée à l’exaltation, s’exalte pourtant et lui inspire quelques phrases d’un sentiment plus profond peut-être que tout ce que j’ai cité jusqu’à présent. « Tu verrais dans nos églises, ou leurs toits pourris gisans sur la terre, ou des portes dont les gonds ont été arrachés ; l’entrée des basiliques est obstruée par les ronces sauvages ; les troupeaux ne sont pas seulement couchés dans les vestibules, mais ils broutent les flancs verdoyans des autels. » Les malheurs de la patrie et de la religion ont fini par élever la faconde du rhéteur à l’éloquence de l’évêque.

Les barbares sont entrés, pour ainsi dire, dans l’imagination et la littérature des Gallo-Romains. Leur venue a fourni à Salvien des invectives formidables contre la corruption universelle, et une magnifique inauguration de la Providence divine. Saint Avit montre les rapports curieux de l’église avec les barbares, de l’église qui les craint, les ménage, cherche à ramener les princes ariens à la foi catholique, et se précipite enfin dans les bras du vainqueur orthodoxe. Dans les écrits de Sidoine, on voit ces barbares haïs encore, mais de plus en plus redoutés, flattés tout haut, maudits tout bas, et peints comme en passant. Nous les avons observés ici du point de vue de leurs adversaires. La barbarie n’a pas parlé en son propre nom, elle ne s’est pas racontée elle-même. Maintenant elle va régner sans partage ; encore quelques années, et toute cette culture païenne, si long-temps florissante, qui dominait l’imagination des auteurs chrétiens, des évêques, des saints ; toute cette culture païenne va