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l’étable. Enfin il ne faut pas oublier que ce Théoderic, qui avait lu Virgile, dont Sidoine vante la philosophie et la civilité (civilitas), était monté au trône par un fratricide, et devait en descendre de même.

Non-seulement Sidoine était flatteur avec le roi barbare, il était encore galant envers la reine. Evodius, qui voulait se mettre bien en cour, avait eu l’idée d’offrir à Ragnhilde, femme d’Euric, une coupe taillée avec art. Il demanda douze vers à Sidoine, et Sidoine s’empressa de les faire. Il commence par parler du Triton et de Galatée dans cet envoi poétique adressé à une reine gothe, et il finit par un compliment précieux sur le teint des femmes barbares. Les derniers mots sont ceux-ci : « Heureuses les eaux enfermées dans l’éclat du métal et qui sont rehaussées par l’éclat plus brillant des traits de la reine. Quand elle daigne y réfléchir son visage, c’est de ce visage que l’argent reçoit sa blancheur. » On peut croire que la femme d’Euric estimait beaucoup plus la matière de sa coupe que les vers du complaisant poète, gravés à l’entour.

Sidoine détestait au fond ces barbares qu’il caressait, et, dans la première partie de sa vie, encore à Lyon, encore sous l’empire des Burgundes, avant de passer en Auvergne sous celui des Goths, il applaudissait vivement à un poète lyonnais de ses amis, qui venait de faire une satire contre ces rois burgundes, dont le plus cruel et le plus heureux, meurtrier de ses trois frères, avait reçu les louanges de saint Avit. On aime à voir qu’il y avait au moins quelques hommes qui protestaient par des satires contre ces adulations vraiment déplorables. Sidoine n’écrivait point de satires, mais il avait assez d’énergie pour louer ceux qui en écrivaient. Lui-même s’est bien permis quelques épigrammes contre ses maîtres ; ces épigrammes trahissent assez timidement la mauvaise humeur de l’homme de lettres que l’on vient déranger au milieu de ses études et de ses loisirs. Il s’excuse auprès de son ami Catullinus de ne pas lui envoyer un épithalame. « Moi, dit-il, placé parmi ces bandes chevelues, obligé d’affronter des mots germaniques, de louer d’un visage renfrogné ce que chante le Bourguignon vorace, qui répand sur sa chevelure un beurre aigri !… Heureux tes yeux, ton nez, tes oreilles… loin de ces géans auxquels suffirait à peine la cuisine d’Alcinoüs ! Mais ma muse se tait et s’arrête après s’être jouée dans cette pièce de vers, de peur que quelqu’un n’y voie une satire. » Ainsi la prudence de Sidoine glace bientôt sa verve ; il s’interrompt, craignant de pousser la plaisanterie trop loin et de déplaire à ses redoutables patrons de sept pieds, comme il les appelle.