Page:Revue des Deux Mondes - 1839 - tome 18.djvu/687

Cette page a été validée par deux contributeurs.
683
SIDOINE APOLLINAIRE.

lettres illettrées (illitteratissimis litteris vacant), se permettant lui-même un de ces barbarismes qui l’affligeaient et lui faisaient pleurer la mort de la langue latine ; tantôt il s’écriait que, dans le naufrage de toutes les distinctions sociales, les lettres resteraient la seule noblesse parmi les hommes. Mais dans d’autres momens, il voyait plus juste et disait plus vrai ; alors il parlait tristement du monde comme d’un vieillard épuisé et impuissant. Ailleurs, s’adressant à ceux qui, selon lui, maintiennent encore, comme par exception, l’honneur des lettres et du goût, il leur crie : « Si vous, en bien petit nombre, ne sauvez pas de la rouille du barbarisme subtil la pureté de la langue, bientôt nous la trouverons morte et abolie à jamais. »

Sidoine s’attache avec passion, avec amour, au dernier reste de cette culture qui s’éteint. Il remercie un certain Arbogaste, homme au nom germanique s’il en fut, de conserver dans une des provinces les plus barbares, sur les rives de la Moselle, les traditions de la langue latine. « Je me réjouis grandement, lui écrit-il, qu’au moins dans votre noble cœur subsiste quelque vestige des lettres qui s’évanouissent. » Mais malgré Arbogaste et les autres amis de Sidoine, l’ancienne littérature était frappée de mort ; lui-même, nous venons de le voir, ne pouvait se déguiser cette vérité funeste ; et malgré la confiance de son enthousiasme et la vivacité de ses admirations, il avait, de la chute des lettres latines, un secret et douloureux pressentiment.

Tels sont les principaux traits que j’ai choisis dans les ouvrages de Sidoine Apollinaire pour donner quelque idée de la société romaine à cette époque. On y trouve les barbares pris sur le fait, pour ainsi dire, au moment de la conquête, tantôt troublant, tantôt subissant la civilisation romaine. Mille menus détails que l’histoire n’aurait certainement pas conservés, l’ont été par Sidoine Apollinaire, qui les a saisis comme au passage, et les a consignés dans ses lettres ou dans ses vers. Ce qu’il y a de plus vif, de plus saillant dans les compositions d’Apollinaire, c’est tout ce qui concerne les barbares. L’apparition de ces hôtes impérieux le frappait plus fortement que ne pouvaient le faire les pâles héros de ses panégyriques, ou les personnages mythologiques qu’il faisait parler ; et ce qu’il y avait de fortement accusé dans la physionomie de ses modèles, se communiquait, jusqu’à un certain point, à son style. Ses lettres peignent avec énergie la situation précaire, inquiète, des Gallo-Romains, et en particulier des Arvernes, vis-à-vis les peuples barbares qui se disputaient la possession de leur pays. « Proie lamentable placée entre deux peuples