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Le caractère de Sidoine, qui jusqu’ici n’a pas été extrêmement respectable, se relève et grandit à la fin de sa carrière. L’épiscopat et le malheur firent de lui un autre homme. En présence des Goths, qui assiégèrent et prirent sa ville, il montra une grande énergie, une grande noblesse d’ame. Sidoine Apollinaire, et c’est là son plus beau titre, était plus patriote qu’on ne l’était à cette époque dans la Gaule, et en général dans l’empire romain.

Les Avitus, cette famille illustre à laquelle appartenait la femme de Sidoine, et surtout son beau-frère, Ecdicius Avitus, paraissent avoir formé en Auvergne un foyer de résistance qui parvint à retarder quelque temps l’invasion gothique. Toutes les lettres de Sidoine Apollinaire qui se rapportent à ce sujet ont un intérêt particulier et lui font un grand honneur. Toujours occupé des affaires de son pays, il écrit à son beau-frère Avitus, pour l’engager à négocier une trêve entre les Romains et les Visigoths, ceux-ci menaçant toujours l’Auvergne, qui leur manquait pour arrondir leur territoire. En effet, on fit une trêve avec eux, ou plutôt, comme dit Sidoine Apollinaire, une ombre de trêve (induciarum imago). Mais bientôt cette trêve illusoire fut rompue, et Sidoine écrivait à saint Mammert, évêque de Vienne : « Le bruit se répand que les Goths s’avancent vers le territoire romain. Misérables Arvernes, nous sommes toujours la porte de l’invasion (irruptioni janua sumus) ! »

Découragé de tant d’efforts inutiles, Sidoine Apollinaire paraît moins compter sur les murs brûlés, les palissades ruinées, les remparts toujours couverts de sentinelles, que sur l’appui du ciel, que sur la fête des rogations qu’il vient d’établir dans sa ville d’Arvernum. Cependant, il est évident que Sidoine ne faisait pas seulement des processions pour la défense de son pays ; cette défense fut conduite avec tant de vigueur, que le roi des Goths fut obligé de renoncer au siége et de se retirer. Mais malheureusement cette résistance honorable, qui, si elle avait été imitée sur d’autres points, aurait pu sauver pour long-temps cette partie de la Gaule, fut trahie par le pouvoir central et par des rivalités provinciales ; on le voit par les lettres mêmes de Sidoine Apollinaire. Il en est une adressée à Græcus, évêque de Marseille, dans laquelle il se plaint avec énergie de ce qu’on livre l’Auvergne aux Barbares, dans le vain espoir de sauver Marseille.

L’évêque Græcus et trois autres étaient les agens de cette négociation, et Sidoine ne peut s’empêcher de leur reprocher avec énergie une si honteuse transaction : « Est-ce là ce qu’ont mérité, s’écrie-