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domestique fournissait matière à des compositions qu’il appelait poétiques : quatre poissons étaient-ils pris pendant la nuit aux filets de son vivier, vite il faisait quatre vers. Il excellait dans l’impromptu, comme Ausone ; comme lui, il a soin de nous donner sur ce sujet les plus minutieux renseignemens. On trouve dans ses œuvres un certain distique pour lequel il avait la plus grande estime, parce qu’il était rétrograde (recurrens), c’est-à-dire qu’après l’avoir lu dans un sens, on pouvait le lire dans l’autre. Mais cette espèce de composition a un grand inconvénient : quand on est arrivé au dernier mot, on est fort peu tenté de recommencer. Apollinaire, pour relever le mérite de son distique, nous informe qu’il l’a composé pendant qu’il cherchait un gué.

....Je n’ai mis qu’un quart d’heure à le faire.

On voit, par divers passages des écrits de Sidoine, combien l’impromptu était à la mode. M. Guizot a cité une lettre de Sidoine dans laquelle ce dernier trahit avec une bonhomie assez piquante sa prédilection pour ce genre d’exercice : on y voit combien la vanité d’auteur le poursuivait au milieu des solennités chrétiennes ; mais de tous les récits de ce genre, le plus curieux, parce qu’il nous fait assister à une petite scène littéraire du temps, c’est le récit de ce qui se passa dans un souper chez l’empereur, entre Sidoine et un de ses ennemis, Pœonius, qui l’avait accusé d’avoir fait une satire. Le tout est accompagné de mille petites circonstances qui avaient beaucoup de prix aux yeux de Sidoine et en auraient beaucoup moins aux nôtres. Il a soin de nous apprendre dans quel ordre les convives étaient placés au festin impérial, quels furent les bons mots des courtisans, leurs épigrammes, au sujet d’une place à table disputée, ou de quelque rivalité de cette importance. Enfin, on en vint à parler de satire. « J’apprends, comte Sidoine, dit l’empereur, que tu écris la satire. — Et moi, seigneur prince, répliquai-je, je l’apprends aussi. — Épargne-nous, ajouta-t-il en riant. » Sidoine proteste de son innocence, et défie ses ennemis de soutenir publiquement l’accusation ; il demande, s’il se justifie, de pouvoir écrire tout ce qu’il voudra contre son adversaire. L’empereur, qu’amusait cette scène et surtout l’embarras de Pœonius, consent à la requête de Sidoine, mais à condition que celui-ci improvisera en vers. Sidoine improvise un distique ; de grands applaudissemens se font entendre ; l’empereur est satisfait, et Sidoine en grande faveur. En sortant, le consul se jette dans ses bras, Pœonius lui adresse force révérences. Tous les détails de ce petit récit sont à remarquer dans l’original, car ils montrent comment se pas-