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SIDOINE APOLLINAIRE.

mate dans la grande lutte que soutinrent contre Attila les Romains appuyés d’une partie des nations barbares. Sidoine fait adresser à son beau-père un discours suppliant par Aetius, qui l’appelle le salut du monde ; puis il le montre obtenant l’alliance des Visigoths. Il y a dans la peinture de l’assemblée des chefs de cette nation un singulier mélange de détails vrais et pittoresques et de couleurs apprêtées et factices. Sidoine hésite entre la réalité des faits et les fictions de la rhétorique. On ne peut croire Jupiter, quand il représente les Barbares, dès qu’ils apprennent qu’Avitus vient vers eux, disposés à tout accorder et craignant qu’il ne leur refuse la paix. Sidoine est un peu ridicule quand il met dans la bouche de Théoderic de grandes protestations de respect pour le génie de Rome et pour ses enfans, race de Mars, et le vœu invraisemblable d’expier le crime d’Alaric qui a eu l’indignité de prendre d’assaut la ville éternelle, « seule tache, dit-il, à la mémoire de notre aïeul. » Théoderic (et ceci est de l’histoire) conclut en offrant ou plutôt en imposant à Avitus le trône impérial vacant par la mort de Maxime. Dans la réponse qu’adresse Avitus au roi des Goths, se manifeste l’ascendant de la civilisation latine sur la farouche violence des conquérans germains : ascendant qui devait se reproduire souvent dans ces sortes de transactions, et en décida plus d’une fois le succès. Avitus parle au chef barbare de son père, qu’il a déterminé autrefois à lever le siége de Narbonne : « Alors tu étais enfant, ajoute Avitus ; toi-même, j’en atteste ces vieillards, mes mains t’ont tenu et réchauffé dans mon sein ; tu pleurais si ta nourrice, contre ton désir, t’enlevait pour t’allaiter. » Le chef barbare, ce qui est plus étrange, se souvient que son père, par les conseils d’Avitus, lui a fait étudier Virgile pour adoucir la rudesse des mœurs scythiques. Théoderic ne met qu’une condition à son alliance, c’est qu’Avitus soit empereur ; et Avitus se soumet : il retourne auprès des siens ; les grands personnages de la Gaule méridionale se rassemblent et le portent au trône d’une voix unanime. Toute cette négociation dans laquelle un Gallo-Romain est élevé à l’empire sous l’influence des Goths et par l’élection de ses co-provinciaux, est un évènement assez curieux, qu’on ne connaîtrait pas bien si Sidoine ne l’avait fait raconter par Jupiter.

Le discours d’un chef gaulois invitant Avitus à saisir la pourpre contient quelques vers qui peignent énergiquement la misère de la Gaule enchaînée au cadavre de l’empire romain. « Parmi ces défaites, parmi ces funérailles du monde, notre vie a été une mort, et tandis que, dociles à la tradition des aïeux, nous obéissons à une autorité impuissante, réputant saint de rester fidèles à travers mille maux à