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centre de toute pensée et de toute influence sociale, autant de nos jours il est inévitable de ramener à la philosophie toutes les questions et tous les débats. Ce que nous appelons ici philosophie n’est pas tel ou tel système, mais la liberté illimitée de la pensée, mais le droit absolu de la raison. Et qu’on veuille bien remarquer cette singularité, c’est que la tolérance est aujourd’hui du côté des philosophes, la colère et l’intolérance dans les rangs de ceux qui abdiquent l’indépendance de leur intelligence devant une autorité extérieure. Tous ceux qui croient que la raison humaine a le droit de tout examiner et de faire d’un doute préalable la condition de la science, ceux-là sont pleins de cette modération et de cette humanité que Voltaire estimait le premier caractère d’un être pensant. Ils défendent avec franchise les convictions qu’ils ont acquises par leur propre travail, mais ils conçoivent que d’autres opinions puissent être préférées par d’autres hommes. Au contraire, ceux qui humilient volontairement la raison devant la foi, ne combattent qu’avec fureur les dissentimens qu’ils rencontrent ; ils s’emportent, ils injurient leurs adversaires, et pour les mieux réfuter, ils les proscriraient volontiers. Cette sauvage intolérance n’anime pas seulement les soutiens du passé, ceux qui regrettent le moyen-âge, l’ancienne France et les vieilles croyances ; elle se trouve aussi chez quelques-uns de ceux qui appellent avec le plus d’emportement un nouvel avenir social. Tel démocrate qui ne regarde qu’avec mépris les institutions politiques du présent, non-seulement a tout-à-fait accepté le joug de l’orthodoxie catholique, mais s’indigne que d’autres veuillent retenir la libre possession de leur intelligence. Cette confusion n’est pas moins bizarre que déplorable. Quoi qu’il en soit, la différence la plus fondamentale qui puisse séparer les écoles et les partis religieux, politiques et littéraires, sera toujours le partage entre la raison et la foi, entre la liberté de l’intelligence, ou l’adhésion perpétuelle à une lettre une fois écrite. Si l’auteur du Travail intellectuel en France eût adopté cette division aussi simple que juste, les hommes et les systèmes se seraient placés d’eux-mêmes sous sa plume dans un ordre facile à comprendre, et il eût aisément jeté sur eux la lumière et la couleur. Il appartient à l’école catholique, à ce qu’il nous dit ; mais, en vérité, on ne le croirait pas à la mollesse de ses sympathies pour les grands écrivains de cette école. Ce n’est pas avec cette hésitation de touche, avec cette débilité de traits qu’il fallait esquisser les figures de MM. de Maistre et de Bonald, ces véritables représentans de la tradition, qui ne l’ont désertée sur aucun point, et que l’esprit du siècle n’a pu faire dériver