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GOETHE.

coulaient, le cours des astres a changé : lui cependant est resté stationnaire. Indifférent à toutes les révolutions qui s’accomplissent au dehors, il s’enferme entre quatre murailles, et s’occupe d’y mener à fin son œuvre, une idée féconde et puissante que Faust a laissée au fond de ses alambics et de ses cornues, et qui, grâce aux efforts inouis du bonhomme, a pour réalisation cet embryon d’Homunculus. Au peu de consistance du petit être, à la fragilité de son existence, on reconnaît le misérable souffle des poumons étiques de Wagner. En face d’un avortement pareil de sa pensée, Faust serait mort de honte ; le désespoir l’aurait anéanti au seul spectacle de cette essence lumineuse emprisonnée dans une fiole de cristal, qui va dans l’air clopin clopant, sans se rattacher à rien dans la nature, et semble faite pour servir de risée aux élémens. Wagner, au contraire, se glorifie et se pavane, et ne s’aperçoit pas que Méphistophélès le raille et s’amuse depuis une heure à ses dépens. Homunculus, à son tour, refuse d’accepter l’héritage d’un pareil pharmacien. L’idée a comme le pressentiment d’une origine plus noble ; l’aiglon, une fois sorti de l’œuf, prend le large, et laisse glousser dans la basse-cour la poule couarde qui l’a couvé. Je ne puis penser à ce Wagner sans me rappeler le frère Laurence de Roméo. Celui-là aussi vit dans la solitude et l’indifférence des bruits du monde ; mais avec quel enthousiasme sacré il aime la nature, avec quelle foi charmante il écoute les révélations des astres, quelle sereine confiance il a dans les baumes que lui donnent ses plantes pour assoupir les souffrances des mortels ! Il ne s’agit plus ici de science, mais de pur sentiment. La spéculation qui force la nature exige une main énergique et puissante ; l’amour, au contraire, se satisfait dans le loisir, car il ne demande que ce qu’on veut bien lui donner. Laurence n’a pas la prétention de convertir les lois de la création ; il les aime comme Dieu les a faites, et c’est pour les admirer plus à son aise qu’il se retire dans son champ. Wagner a tout le dogmatisme du métier ; formé à l’imitation du maître, il veut continuer son entreprise, il veut créer. Il prend l’œuvre de Faust tout juste au point où l’amant de Marguerite et d’Hélène trouve qu’il est bon de l’interrompre pour aller courir le monde, se mêler à l’action de ses semblables et prendre aussi sa part d’humanité. Du reste, la médiocrité ne manque jamais d’en agir de la sorte ; l’à-propos n’est guère son fait d’habitude. Comme elle n’a pas les ongles de l’aigle pour creuser son nid dans le roc, elle attend que l’oiseau royal quitte son aire pour s’y installer. Je le répète, Wagner n’a pas fait un pas ; tel on l’a vu jadis, tel on le retrouve aujourd’hui. Qu’on