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GOETHE.

que dans un vers qui est, pour ainsi dire, l’essence du venin fatal que le grand poète y distille. Le bachelier s’abandonne sans réflexion à son enthousiasme immodéré ; dans les dispositions fougueuses où le mettent sa jeunesse et la chaleur du sang qui bouillonne dans ses veines, chaque parole qu’il dit est comme un flot de vin vieux qui lui monte au cerveau ; son ivresse s’alimente d’elle-même, son œil s’enflamme, ses narines se gonflent, les artères de ses tempes battent à coups précipités ; une fois lancé, rien ne l’arrête. Il faut le voir tran-

    ne savait plus quel était l’empereur. Les grands hommes vivent tous exilés, et le premier aventurier qui se rencontre, pour peu qu’il compte sur les soldats et sur l’armée, se proclame aussitôt empereur. Au point où nous en sommes, on ne regarde plus au nombre ; quelques-uns de plus ou de moins, peu importe. L’empire romain n’a-t-il pas eu trente empereurs à la fois ? Wieland et Schiller sont déchus de leur trône. Combien de temps vais-je garder encore sur mon dos mon antique pourpre impériale ? Qui le sait ? À coup sûr, ce n’est pas moi. Quoi qu’il en puisse advenir, je veux montrer au monde que cette royauté ne me tient point à cœur, et supporter ma déchéance avec le calme et la résignation qu’une ame forte oppose aux coups de la destinée. Ça ! de quoi parlions-nous donc ? Ah ! des empereurs ! C’est bien ! Novalis ne l’était pas encore ; mais avec le temps il ne pouvait manquer de le devenir. Quel dommage qu’il soit mort si jeune, d’autant plus qu’il avait devancé son temps en se faisant catholique ! N’a-t-on pas vu, s’il faut en croire les gazettes, de jeunes filles et des étudians se rendre en pélerinage à son tombeau et le joncher de fleurs ? J’appelle cela un début glorieux et qui donnait dans l’avenir de grandes espérances. Pour moi, comme je lis fort peu les gazettes, je supplie mes amis, toutes les fois qu’il y aura quelque canonisation de cette espèce, de ne pas négliger de m’en faire part. Tieck aussi fut empereur quelques jours ; mais cela ne dura guère : il eut bientôt perdu son sceptre et sa couronne. On lui reprocha sa douceur, sa clémence, ses mœurs de Titus. Le gouvernement exige plus que jamais aujourd’hui une main ferme et puissante, et, je n’hésite pas à le dire, une sorte de grandeur barbare. Ensuite vint le tour des Schlegel, Auguste Schlegel, premier du nom, et Frédéric Schlegel II. Tous les deux régnèrent avec autorité, en monarques absolus et despotes. Chaque matin, des proscriptions nouvelles ou des exécutions ; les listes se couvraient de noms, les échafauds se dressaient. C’était merveille ! De temps immémorial, le peuple aime fort toutes ces choses-là. Dernièrement, un jeune homme, à son premier début dans la carrière, appelait quelque part Frédéric Schlegel un Hercule allemand qui parcourt le pays sa massue à la main, et va terrassant tout sur son passage. Aussitôt le magnanime empereur d’envoyer des lettres de noblesse au jeune écrivain, qu’il appelle à son tour un héros de la littérature allemande ! Le diplôme est fait et parfait, vous pouvez m’en croire ; je l’ai vu de mes propres yeux. Puis viennent, pour dotations et domaines, les gazettes qu’on exploite au profit de ses partisans et de ses amis, tandis qu’on a bien soin de passer les autres sous silence. Admirable expédient, fait pour réussir avec ce digne public allemand, qui ne lit jamais un livre avant que la gazette en ait parlé ! Comme vous le voyez, cette manière de jouer à l’empereur ne manque pas de charmes, et a sur l’autre l’avantage qu’avec elle du moins on ne court aucun risque. Ainsi, un beau soir, vous vous couchez heu-