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GOETHE.

Une dame plus âgée. — Oui, vraiment, un souffle embaumé pénètre dans les cœurs ; le souffle vient de lui.

Une vieille. — C’est la fleur de croissance, fleur d’ambroisie, qui s’ouvre dans son sein juvénile, et parfume l’atmosphère autour de lui.

(Hélène paraît.)

Méphistophélès. — C’est donc elle ! Ma foi ! devant celle-là je ne craindrais rien pour mon repos ! Elle est jolie, mais ne me dit pas grand’chose.

L’astrologue. — Quant à moi, cette fois, je n’ai plus rien à faire, et, comme homme d’honneur, je l’avoue et le confesse. La déesse s’avance, et quand j’aurais des langues de flamme… — On a de tout temps beaucoup célébré la beauté. Celui à qui elle apparaît est ravi, hors de lui ; celui à qui elle appartint fut trop heureux.

Faust. — Ai-je donc bien mes yeux encore ? N’est-ce pas la source de la pure beauté qui s’épanche à torrent dans l’intérieur de mon être ? Prix fortuné de ma course terrible ! Néant du monde avant cette révélation ! combien ne s’est-il pas transformé depuis ce sacerdoce que je viens d’accomplir ! Pour la première fois le monde m’apparaît désirable, solide, plein de durée. Que le souffle de la vie s’éteigne en moi si jamais je puis m’acclimater loin de ta présence ! La douce figure qui jadis me ravit, et dont le reflet magique m’enchanta, n’était que l’ombre d’une telle beauté. C’est à toi que je voue toute force active, toute passion ; à toi sympathie, amour, adoration, délire !

Méphistophélès, du fond de son trou[1]. — Contenez-vous et ne sortez pas de votre rôle.

Une dame âgée. — Grande, bien faite, la tête un peu petite seulement

Une dame plus jeune. — Mais voyez donc le pied ; comment ferait-il pour être plus lourd ?

Un diplomate. — J’ai vu des princesses qui lui ressemblaient ; pour moi, je la trouve belle de la tête aux pieds.

Un courtisan. — Elle s’approche du jeune homme endormi, d’un air malin et doux.

Une dame. — Qu’elle est affreuse à côté de cette image si pure de jeunesse !

Un poète. — Elle l’éclaire de sa beauté.

Une dame. — Endymion et la lune ! un vrai tableau !

Le poète. — Très bien, la déesse semble descendre ; elle se penche sur lui pour boire son haleine ; ô moment digne d’envie ! — un baiser ! — la mesure est comblée.

Une duègne. — Devant tout le monde ! cela devient par trop extravagant !

Faust. — Faveur formidable à l’adolescent !

  1. Dès le commencement de la scène, Méphistophélès s’est tapi dans le trou du souffleur, et c’est de là qu’il prend part à l’intermède. Le diable n’a que faire de tous ces artifices du beau langage dont un avocat tire profit ; il veut tenter, et non persuader. C’est un serpent qui s’insinue par l’oreille dans le cœur. À ce compte, que lui serviraient tous ces grands mouvemens oratoires et ces grands gestes de tribune ? Il ne professe pas le mal, il le souffle. Qu’on se rappelle la magnifique scène de l’église dans la première partie de Faust,