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saillir l’homme est sa meilleure partie. Si cher que le monde fasse payer à l’homme le sentiment, ému, il sent à fond l’immensité.

Méphistophélès. — Descends donc ! je pourrais aussi bien dire : Monte ; c’est tout un. Échappe à ce qui est. Lance-toi dans les espaces vides des images. Va te réjouir au spectacle de ce qui n’existe plus depuis long-temps. La roue tourne comme les nuages. Agite ta clé dans l’air et tiens-la à distance de toi.

Faust, transporté. — Bien ! à mesure que je la serre, je sens naître en moi une force nouvelle, ma poitrine s’élargit pour le grand œuvre.

Méphistophélès. — Un trépied ardent te fera connaître, enfin, que tu es arrivé à la profondeur des profondeurs. À ces clartés tu verras les mères. Les unes sont assises, les autres sont debout et marchent, comme cela se trouve. Forme, transformation ! éternel entretien du sens éternel ! Entouré des images de toutes les créatures, elles ne te verront pas, car elles ne voient que les ébauches. Courage alors ! le danger sera grand. Va droit au trépied et touche-le de ta clé. (Faust élève sa clé d’or dans une attitude décidée et souveraine.) — C’est bien. Le trépied s’attache à toi, il te suit comme un fidèle satellite. Tu remontes avec calme, le bonheur t’élève, et avant qu’elles aient pu s’en apercevoir, te voilà de retour avec ta conquête. Une fois le trépied déposé ici, tu évoques, du sein des ténèbres, le héros et l’héroïne. Le premier qui se soit jamais avisé de cette action !… L’action est faite, et c’est toi qui l’as accomplie. Ensuite, et par l’opération magique, les vapeurs de l’encens seront transformées en dieux.

Faust. — Et maintenant ?

Méphistophélès. — Maintenant, que ton être tende à son but souterrain. Descends en trépignant, en trépignant tu remonteras. (Faust trépigne et disparaît.) Que la clé lui réussisse ; je suis curieux de voir s’il reviendra.


Faust s’abîme dans le gouffre sans nom. En attendant qu’il revienne, la cour s’empresse autour de Méphistophélès ; on l’accable de questions. Les chambellans, les marquises, les pages se le disputent. Le pauvre diable, assailli de toutes parts, ne sait à qui répondre.


Une blonde, à Méphistophélès. — Un mot, Seigneur. J’ai le visage assez clair, vous voyez ; cependant il s’en faut de beaucoup qu’il demeure ainsi quand vient l’été fâcheux ; alors cent vilaines taches rouges bourgeonnent et couvrent la blancheur de ma peau : c’est affreux. Quel remède ?

Méphistophélès. — Sur ma foi, je vous plains ; un si joli trésor tacheté au mois de mai comme une peau de panthère ! Prenez-moi du frai de grenouilles, des langues de crapauds, distillez tout cela fort soigneusement lorsque la lune sera pleine ; sitôt qu’elle commencera à décroître, appliquez ce collyre proprement : vienne le printemps, et les taches auront disparu.

Une brune. — La foule vient à vous de tous côtés ; souffrez que je vous consulte à mon tour. Ce pied gelé m’empêche de courir et de danser ; je suis même maladroite à faire la révérence.