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GOETHE.

est un monde, ou plutôt l’argile donnée au poète pour créer un monde ; chacun pétrit cette argile à sa manière, et l’œuvre en résulte pareille ou dissemblable. Si des rapports de sujet unissaient ainsi deux œuvres, il s’ensuivrait que toutes les partitions de Faust, dont l’Allemagne abonde, auraient de meilleurs droits que le Freyschütz à faire valoir à la parenté de Goethe, ce qui ne peut être admis en aucune façon. Rien ne ressemble moins à l’œuvre de Goethe que toutes les conceptions musicales écrites sur le même sujet ; je n’en excepte pas même le Faust de Spohr, où la grande figure de Méphistophélès n’apparaît qu’un moment, pendant le menuet du second acte. — Il y a dans Weber un effet tout pareil à celui dont nous parlons. Le musicien passe tout à coup de l’agitation à la quiétude, de l’odeur du soufre au parfum des blés, des évocations infernales de Gaspard à la douce prière d’Agathe. C’est là un moyen bien simple et qui produit une sensation rare. Après les terreurs de la nuit, après les ouragans dont les éclats ont occupé le finale, ce rideau qui se lève sur une scène si pure de mélancolie et d’innocence envoie, en se ployant, un air de bénédiction dans la salle. Vous oubliez le carrefour maudit, le torrent plein de visions, le pacte signé à la lueur des éclairs, pour cette hymne qui monte au milieu des vapeurs du malin, et va tout racheter. C’est un rayon de soleil après la pluie, un cri d’oiseau après l’orage ; votre front s’épanouit, votre pensée redevient heureuse et sereine.

Faust se trouve ensuite porté au milieu de la cour de l’empereur, où Méphistophélès remplit l’office de bouffon. Tout va de mal en pis ; l’argent manque, le peuple menace de se révolter. On consulte Méphistophélès, qui ne voit d’autre moyen de se tirer d’affaire que de créer sur-le-champ une énorme quantité de papier-monnaie. L’empereur, dont Méphistophélès a séduit le caractère faible par je ne sais quel grand projet de lui soumettre les élémens et de rendre l’eau, l’air, le feu et la terre, tributaires de sa couronne, ne tarde pas à consentir, et bientôt après le chancelier proclame ces paroles : « On fait savoir à qui le désire que les billets émis valent chacun mille couronnes ; il est donné pour caution un trésor immense enfoui dans le sol de l’empire. » Grâce à cet expédient habile, l’inquiétude cesse, on oublie les préoccupations sérieuses, on chante, on boit, on s’abandonne à l’ivresse du moment ; le carnaval, suspendu tout à l’heure, recommence de plus belle. Les figures que Goethe évoque dans le carnaval poétique sont, pour ainsi dire, autant de vivantes allusions. Ce beau jeune homme qui conduit un char, comme Apollon, représente