Page:Revue des Deux Mondes - 1839 - tome 18.djvu/618

Cette page a été validée par deux contributeurs.
614
REVUE DES DEUX MONDES.

d’être accomplie. D’ailleurs, en pareille occasion, Goethe serait homme à duper le diable ; laissez-le faire, et vous verrez qu’il trouvera dans ce pacte quelque point litigieux, quelque clause douteuse qu’il ne manquera pas d’interpréter à son gré, de manière à ressaisir sa créature tombée au pouvoir de la mort et de l’enfer.

La première partie nous montre Faust dans le tumulte de son activité ; il désire, il aime, il éclate en transports furieux ; les circonstances où il se trouve ne peuvent rien sur lui. Dans la seconde partie, c’est tout le contraire qui arrive. Voici toute une suite d’apparitions nouvelles : la cour, l’état, la politique, la guerre, l’antiquité la plus reculée ; dès ce moment, le domaine infini de la fantaisie poétique s’ouvre et s’étend sous vos yeux à perte de vue. La tragédie ne pouvait se terminer avec l’épisode de Marguerite, car à tout prendre, aux dernières scènes du premier Faust, Méphistophélès n’a gagné ni perdu son pari ; l’ame qui se voue à l’ivresse des sens a bien d’autres épreuves plus dangereuses à subir encore, et le monde qui l’attire irrésistiblement est loin de lui avoir révélé toutes ses jouissances.

En ce qui est de la grandeur du style et de l’abondance des idées, la seconde partie de Faust me paraît l’emporter de beaucoup sur la première. Là Goethe règne seul et dirige selon ses volontés le sujet de sa fantaisie ; selon qu’il lui convient, il monte dans les étoiles, visite Pharsale, ou plonge au sein de l’Océan, toujours calme, toujours impassible, toujours maître absolu de lui-même et des objets qui l’environnent. L’observation des phénomènes de la nature et de la vie humaine remplace la chaleureuse effusion du cœur. Comme on le voit, le génie de Goethe est dans son élément le plus pur ; mais ce que l’on ne peut dire et qui vous frappe du commencement à la fin de cette œuvre, à mesure que l’on y descend plus profondément, c’est dans la pénétration du sujet, dans l’ordonnance de certaines parties de l’épisode grec, dans la disposition de la langue et du vers antique, une grandeur, une plasticité, une richesse sans exemple. Tous les trésors de la science roulent à vos pieds, la métaphysique réfléchit les étoiles, les images et les couleurs pour la première fois dans son miroir glacé ; les idées les plus abstraites se couronnent de poésie, et viennent à vous le sourire de l’amour sur les lèvres : vous les interrogez, non plus avec terreur comme de mornes sphinx, mais joyeux et du ton familier d’Alcibiade au banquet de Socrate. La nature et l’histoire ont concouru également à cette révélation du génie, et il serait difficile de dire ce que l’on doit admirer le plus dans ce livre de la profondeur symbolique du naturalisme ou de la vaste intelligence des faits his-