Page:Revue des Deux Mondes - 1839 - tome 18.djvu/601

Cette page a été validée par deux contributeurs.
597
REVUE. — CHRONIQUE.

puissance, amie ou ennemie, et que la France doit à son propre avenir de ne pas rester éternellement indifférente à celui de la cause constitutionnelle au-delà des Pyrénées.

Cependant, la mission des deux envoyés espagnols n’a pas eu à Berlin, malgré l’appui de l’Angleterre, d’autre succès que celui d’un accueil bienveillant pour leurs personnes. Je ne crois pas même que le ministère prussien ait consenti à discuter avec M. de Zéa le fond de la question, c’est-à-dire le plus ou le moins de légitimité de la jeune reine. Ce n’est pas que l’on soit, à Berlin, fort enthousiaste de l’inquisition, des moines et des confesseurs de don Carlos, surtout depuis la rupture avec le saint-siége. Mais il y a parti pris d’attendre, et habitude de sympathie pour le prétendant ; on y ressent un faible pour le despotisme, un éloignement instinctif pour les institutions libérales que l’on ne sépare plus de la cause de la reine, et en dépit des calculs que pourrait faire une politique plus hardie, une répugnance secrète à embrasser la même cause que l’Angleterre et la France. J’ignore si M. Antonini, ministre de Naples, a exercé en cette occasion quelque influence sur la résolution de M. de Werther. On peut en douter, bien que la présence de ce diplomate à Berlin n’y ait pas été inutile au parti carliste. Or, voici quels sont les antécédens de M. Antonini. Ce personnage, qui s’était élevé au poste de ministre plénipotentiaire de Naples à Madrid, en passant par les rangs les plus obscurs de la police sicilienne, avait, comme ambassadeur de famille, le plus facile accès dans l’intérieur du palais. Il s’était, ainsi que son gouvernement, prononcé avec le plus grand éclat contre la pragmatique sanction du 29 mars 1830, par laquelle était promulguée la loi rendue par Charles IV, en 1789, pour rétablir l’ancienne législation espagnole sur la succession au trône, et abroger celle que Philippe V lui avait substituée en 1713. Ce fut lui que le parti apostolique choisit au mois de septembre 1832 pour instrument de ses projets. Il s’agissait d’arracher au roi mourant la révocation de l’acte solennel de 1830, rendu par le souverain en pleine liberté et dans la parfaite jouissance de toutes ses facultés, sept mois avant la naissance de la reine Isabelle. M. Antonini s’en chargea : il obséda la reine Christine jusqu’au chevet du mourant avec un acharnement impitoyable, il fit dresser l’acte de révocation par ce même Calomarde, qui, après avoir trahi don Carlos, avait suggéré au roi la pragmatique sanction du 29 mars, pour échapper à l’implacable ressentiment du parti apostolique, et qui acheta ensuite, par une trahison nouvelle, le pardon de ce parti ; enfin il extorqua à Ferdinand VII à l’agonie une signature en caractères illisibles. Mais le roi n’était pas mort : rendu à la vie et à la santé, contre toute espérance, il revint aussitôt à ses premières intentions, chassa Calomarde et tous les fauteurs de cette coupable intrigue, annula le décret qu’on avait surpris à son intelligence éteinte, et par une déclaration nouvelle, en date du 31 décembre 1832, confirma la pragmatique du 29 mars en faveur de sa fille, qui, le 22 juin de l’année suivante, fut solennellement reconnue comme l’héritière du trône, et reçut en cette qualité les sermens et l’hommage des députés de la nation, réunis en cortès. « Tout le corps diplomatique, disent les auteurs du mémoire, assista à