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gociation. Quoi qu’il en soit, M. Marliani ayant laissé M. de Zéa continuer, à Berlin, son entreprise de conversion sur M. de Werther, se rendit à Londres, fut très bien reçu de lord Palmerston, lui communiqua le mémoire de son collègue qui obtint l’entière approbation du ministre anglais, le fit imprimer, et réussit tellement à intéresser lord Palmerston à l’objet de leur mission, que celui-ci recommanda officiellement à lord William Russell, ministre d’Angleterre en Prusse, d’appuyer de tout son pouvoir les efforts de M. de Zéa pour faire reconnaître la reine d’Espagne par le gouvernement prussien. M. Marliani retourna ensuite à Berlin, fort content du résultat de son voyage en Angleterre. Effectivement, lord Palmerston lui avait tenu parole, et dans sa dépêche à lord William Russell, il développait avec chaleur les raisons qui devaient déterminer le cabinet de Berlin à se prononcer ouvertement contre don Carlos, et à fortifier, par sa reconnaissance, la cause que désormais il pouvait, en toute sûreté, considérer comme la seule légitime. Ajouterai-je, monsieur, que, malheureusement, lord Palmerston ne s’arrêtait pas à ce genre d’argumens, et qu’il invoquait encore d’autres considérations, celle-ci par exemple : le gouvernement prussien, aurait dit lord Palmerston, doit sentir qu’à tout prendre, le triomphe de don Carlos est bien incertain, bien peu probable ; que la guerre civile, en se prolongeant quelques années encore au grand détriment de l’Espagne, laissera la France parfaitement tranquille de ce côté, à cause de l’épuisement de la Péninsule ; qu’il serait donc dans l’intérêt de la Prusse que le gouvernement de la reine, en faveur duquel sont aujourd’hui les plus grandes chances de succès définitif, se constituât maintenant avec force ; que la Prusse pourrait contribuer à ce résultat et s’en donner le mérite, en abandonnant ouvertement don Carlos, et qu’elle acquerrait par là sur le cabinet de Madrid une influence dont elle pourrait tirer parti, le jour où la France, toujours inquiète (c’est lord Palmerston qui parle), toujours rêvant sa frontière du Rhin, menacerait les provinces rhénanes ! Eh bien ! monsieur, quoique l’on m’ait rapporté presque textuellement, et en fort bon lieu, ce raisonnement de lord Palmerston, je ne puis croire qu’il ait engagé lord W. Russell à faire valoir de tels argumens auprès de M. de Werther. Non pas que je ne les trouve bons ; tout au contraire. Mais l’alliance anglaise, que deviendrait-elle, que serait-elle, je vous le demande, si en pleine paix l’Angleterre notre alliée, l’Angleterre des whigs, l’Angleterre libérale, se préoccupait ainsi des écarts possibles de notre ambition et cherchait de si loin à se prémunir contre un esprit de conquêtes, qui ne s’est pas, que je sache, manifesté une seule fois depuis la révolution de juillet ? Par respect pour l’alliance anglaise, je n’admets donc pas que lord Palmerston ait tenu ni autorisé ce langage. Mais une politique anglaise, plus soupçonneuse que ne doit l’être celle des whigs, pourrait sans doute recourir à de pareils moyens, nourrir de pareilles inquiétudes, et chercher à les faire partager soit à la Prusse, soit à l’Autriche ; et j’en tire cette conclusion : c’est que la question d’Espagne est avant tout une question française, qu’il ne faut en abandonner la solution à aucune autre