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marché ; car c’est malheureusement l’ordinaire des gens de notre nation qui débarquent au Pirée, de venir à Athènes, de visiter ses ruines, puis de se rendre aux bords du Céphise et de l’Illissus, ce qui est l’affaire d’un ou deux jours. On en emploie un autre à aller au mont Pentélique. Le jour suivant, on va voir les ruches de l’Hymète, et goûter leur miel. Enfin on pousse jusqu’à Éleusis, ou jusqu’au cap Sunium, et l’on s’en retourne par le paquebot. Cela s’appelle avoir vu la Grèce. On cite un de ces touristes qui, parti pour le cap Sunium, n’est allé qu’à moitié chemin. Au retour, ces intrépides voyageurs écrivent de gros volumes sur la Grèce et sur les Grecs. Ils jugent des populations de l’intérieur par la population d’Athènes, qui est un ramassis de gens de toutes les nations, Anglais, Français, Italiens, Maltais, Levantins, etc. Comme il faut qu’ils parlent de la politique, ils ramassent les opinions de leurs domestiques de place, et vous les donnent comme des considérations qui méritent toute l’attention des cabinets de l’Europe.

Nous autres Français, nous ne faisons que commencer à voyager. Aussi, combien a-t-on vu de nos compatriotes arriver en Orient sans même s’être munis de la carte des contrées qu’ils allaient parcourir. Ils n’avaient certes pas oublié le manteau imperméable, le matelas à air qui se gonfle chaque soir et qu’on plie le matin ; ils avaient même emporté des romans pour lire les jours de pluie ; mais Hérodote, Diodore, Strabon, Thucydide, Homère ! tout cela sent trop le collége et l’étude. D’ailleurs, que va-t-on chercher au loin ? des impressions de voyage, et non pas de l’érudition, des sujets de paysage, et non pas des tableaux d’histoire. Il est fâcheux que notre pays, qui se croit avec raison si avancé, soit souvent si mal représenté au dehors.

Nos pauvres chevaux piaffant donc, pensant qu’ils allaient faire une promenade de santé, un voyage de trois à quatre heures, nous menèrent rondement à travers la plaine jusqu’à un village nommé Marouée. Là les nuages s’abattirent sur nous des sommets du Pentélique, et nous essuyâmes une de ces pluies fines, incessantes, qui vous percent jusqu’aux os. Nous comptions pouvoir gagner Oropo, l’ancienne Orope ; mais nous fûmes heureux d’arriver à un village nommé Marco-Poulo, à deux lieues en-deçà. Il était sept heures du soir ; nous venions de longer un torrent qui roule au fond d’un précipice ; nos guides avaient perdu la route ; l’obscurité était si grande, que nous étions obligés de nous en rapporter entièrement à nos chevaux, dont le pied glissait sur l’argile détrempée. Enfin nous entendîmes des chiens aboyer, et, sans nous en être aperçus, nous nous trouvâmes au milieu d’un village. Nous frappâmes à une porte ; mais on hésita long-temps avant d’ouvrir. Sans doute les braves habitans de cette maison qui, comme gardes nationaux, avaient coopéré la veille à l’arrestation de quatre bandits dont l’audace répandait la terreur dans le pays, croyaient, ou à la résurrection de deux des voleurs morts dans le combat, ou à l’apparition d’une nouvelle bande. Enfin on se décida. Nous nous fîmes indiquer la maison du dimarque (le maire), et nous allâmes nous y installer ; car c’est l’usage en Grèce, pays où il n’y a pas