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REVUE. — CHRONIQUE.

vit tout d’un coup son action paralysée, ses intentions méconnues, ses services oubliés, sa vie publique calomniée par des haines furieuses et aveugles. Après avoir quelque temps essayé de tenir tête à l’orage, il fut enfin obligé de céder, et bientôt il disparut de la scène politique. Il pressentit tous les malheurs qui allaient fondre sur l’Espagne, et comprit que désormais, au moins pendant un certain nombre d’années, il devait se tenir à l’écart. Mais en quittant sa patrie, il demeura fidèle à la cause qu’il avait embrassée avec tant d’ardeur. Ceux qui ne le connaissaient pas crurent qu’il chercherait à faire sa paix avec le prétendant, qui s’estimerait heureux de montrer à l’Europe un homme de tant de modération et de lumières enrôlé sous ses drapeaux. Il n’en était rien. M. de Zéa eut, au contraire, grand soin d’établir sa position comme ancien ministre, constant serviteur et partisan dévoué de la reine. Il vécut obscurément dans un coin de l’Allemagne, sans se mêler d’aucune intrigue, et de plus en plus étranger aux affaires de son pays, que les révolutions ministérielles, parlementaires ou militaires, livraient à des partis chaque fois plus éloignés de ses principes et de ses affections.

Tel est l’homme qui, dans ces derniers temps, a consenti à faire auprès des cabinets de Berlin et de Vienne, en faveur du gouvernement constitutionnel de l’Espagne, une tentative dont personne mieux que lui ne pouvait assurer le succès, si le succès avait été possible. Il fut secondé et accompagné dans cette mission par M. Marliani, proscrit politique italien, qui, depuis le commencement de la guerre civile, a mis au service de la reine et de la cause libérale son caractère entreprenant et résolu, son intelligence vive et féconde en ressources, son expérience des révolutions et son activité d’homme d’affaires. Le seul fait de cette association entre deux hommes d’origines et de tendances si différentes est par lui-même un curieux symptôme de l’état actuel des esprits en Espagne. Il prouve que la prolongation de la guerre civile, l’épuisement matériel et moral du pays, l’impuissance aujourd’hui bien constatée des opinions les plus bruyantes et les plus orgueilleuses, ont fait tomber bien des barrières entre les diverses fractions du parti de la reine. Assurément, quand M. Marliani, dans le premier enivrement de la déplorable révolution de la Granja, venait à Paris, en septembre 1836, faire reconnaître le ministère Calatrava, il ne s’attendait guère, après la chute rapide de ses amis, à ce qu’au bout de deux ans, les évènemens le rapprochassent de M. de Zéa pour l’accomplissement d’une mission commune. M. de Zéa, profondément enseveli alors dans sa retraite de Carlsruhe et oublié de tous, avait été la première victime du mouvement libéral qui, avec quelques intermittences dans sa marche, venait d’aboutir au renversement de M. Isturitz, au lâche assassinat de Quesada, à la proclamation violente de la constitution de 1812, et à la restauration de M. Mendizabal. Aux yeux de M. de Zéa, c’était sans doute un malheur de plus ajouté à tous ceux qui, depuis son éloignement des affaires, avaient frappé l’Espagne. Aux yeux de M. Marliani, c’était la victoire définitive du principe libéral et par conséquent, malgré les apparences, de la cause de la reine, identifiée avec ce principe. Eh bien ! ces deux hommes qui jugeaient alors si diffé-