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REVUE. — CHRONIQUE.

dans une combinaison politique, quand on était en paix avec l’Europe et les factions. Les factions se sont chargées de répondre, elles ont rendu l’épée du maréchal Soult indispensable ; et d’ailleurs, on ne peut nier que le cabinet nouveau ne renferme des hommes de talent. Mais, encore une fois, le présent exige que nous ne nous occupions pas du passé, et les hommes modérés qui ont appuyé le gouvernement dans des momens moins difficiles que celui-ci, doivent tous se faire, comme nous, un devoir d’attendre avec bienveillance les actes du nouveau cabinet.

Nous connaissons trop les partis politiques pour espérer de voir cette pensée accueillie par toute l’opposition qui a combattu le ministère du 15 avril, et surtout par la partie exagérée de cette opposition qui s’est jetée, par un reste d’habitude, sur le cabinet intérimaire qui vient de se retirer. Déjà un des organes de cette opposition s’écrie que le ministère de M. Molé lui semble préférable à celui qui vient de se former. Notre intention n’est pas de le contredire ; mais on peut trouver une telle pensée étrange de la part de ceux qui ne professaient pas la même opinion que nous sur le ministère de M. Molé. À leurs yeux, le cabinet du 15 avril était, s’il nous en souvient, corrupteur, corrompu et incapable. C’étaient les trois épithètes honorables qu’on jetait alors à un ministère qui a donné à la France deux ans de sécurité et de prospérité qu’elle serait bien heureuse de retrouver aujourd’hui ! Et voilà maintenant qu’avant toute autre manifestation qu’un simple discours de M. le maréchal Soult, le ministère actuel, composé d’hommes portés naguères avec enthousiasme par la gauche, se trouve dans l’estime des organes de ce côté de la chambre, au-dessous du ministère du 15 avril ! En vérité, la coalition justifie toutes nos prophéties beaucoup plus tôt que nous ne l’aurions voulu, et quand nous annoncions que l’époque des vérités dures ne tarderait pas à arriver pour ses différens membres, nous ne pensions pas qu’ils s’adresseraient si prochainement un langage encore plus dur que celui de la vérité.

Nous qui n’avons jamais reproché aux membres actuels de l’administration que d’avoir donné, par leur adhésion, des forces à une coalition que nous avons toujours regardée comme funeste au pays d’abord, puis à ceux-là même qui en faisaient partie, notre impartialité nous permettra des jugemens plus justes. Nous avons défendu les ministres du 15 avril contre les attaques de ceux qui les accusaient de n’être que des instrumens serviles dans les mains du roi. C’est par de pareilles accusations, c’est en soutenant que le ministère du 15 avril ne couvrait pas assez la couronne de sa responsabilité, c’est en se plaçant entre le roi et les conseillers de sa couronne, qu’on a faussé l’opinion publique et renversé ce ministère. Il n’y a que vingt-quatre heures que le nouveau ministère existe, et déjà on déclare qu’il n’est qu’un vain simulacre placé en face de l’opinion pour cacher un gouvernement qui est ailleurs. Nous n’avons pas attendu long-temps, on le voit, pour retomber dans les accusations portées contre le cabinet du 15 avril ; mais on nous croira quand nous dirons que nous en éprouvons plus d’affliction que de contentement, et les bons esprits qui nous ont appuyés de leur approbation dans notre longue lutte