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rysme a opéré de grandes choses en matière de gouvernement : il a donné à l’Angleterre une puissance, sinon une félicité inconnue jusqu’alors parmi les nations de la terre, mais il ne devrait jamais par pudeur contraindre l’Europe à tourner les yeux vers l’Irlande ; et lorsqu’il se croit redevenu assez fort pour briser un ministère faible, mais honnête, choisir un tel terrain pour lui livrer combat, c’est à la fois, de la part des impatiens du parti, une faute contre la politique et contre la morale : on ouvre ainsi devant ses adversaires le champ sans bornes des récriminations, et l’on arme d’avance contre soi la conscience de tous les peuples.

L’audace d’une telle agression a suffi pour rendre aux démarches d’O’Connell l’à-propos qui leur avait manqué d’abord, et à sa voix si connue les précurseurs se lèvent en foule sur le sol de l’Irlande menacée. La majorité conservée par le ministère Melbourne au sein des communes, et qu’une réélection générale l’exposerait seule à perdre, laisse espérer que rien d’irrémédiable ne sortira de ce conflit si témérairement soulevé, et que le cabinet pourra reprendre le cours des redressemens depuis long-temps commencés par lui[1]. Quelles que soient les chances de l’avenir, la position des membres irlandais au sein du parlement reste simple, s’ils continuent d’allier jusqu’au bout la modération au courage. En face d’un ministère whig, concours sincère et demande de concessions progressives ; en face d’un cabinet conservateur modéré, si un tel pouvoir parvient à supplanter l’administration actuelle, exigences plus vives pour prix d’une neutralité armée, avec menace en cas de refus de passer à l’état d’hostilité ; en face d’un torysme intolérant et sauvage, s’il reconquérait jamais son antique puissance, guerre immédiate, guerre implacable, par la parole et par les armes, par toutes les voies ouvertes aux nations, pour échapper à la servitude. De ces alternatives, la première est la plus heureuse, et la seconde la plus probable : puisse le ciel détourner l’autre dans le double intérêt de l’Angleterre et de l’Irlande !


Louis de Carné
  1. Ce travail était terminé avant la discussion du bill de la Jamaïque et la démission offerte par lord Melbourne et ses collègues. Nous le donnons sans aucun changement, parce que ses conclusions reposent tout entières sur la prévision d’un évènement dont la probabilité n’échappait en Angleterre à aucun esprit politique. L’auteur prend l’engagement de compléter ces études en caractérisant bientôt la crise ministérielle anglaise, et en envisageant ses conséquences en ce qui touche spécialement l’Irlande.