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marquer deux ères différentes dans sa vie, alors qu’il suivait avec une admirable persévérance son unique pensée, et qu’il ne changeait de moyens que pour rester plus conséquent avec lui-même.

Ces impressions étaient entretenues par le parti démagogique, dont O’Connell se séparait de plus en plus à mesure qu’il pénétrait plus clairement la vanité de ses rêves et l’ardeur de ses espérances désordonnées. Elles n’étaient pas repoussées par les masses, que la croisade pour l’émancipation religieuse avait accoutumées aux éclatantes conquêtes arrachées par une parole qui semblait alors un glaive tranchant ; elles allaient enfin au tempérament et aux mœurs du clergé catholique, centre puissant de la vie populaire.

Ce grand corps avait contribué plus que tout autre à entretenir le sentiment national ; il l’avait réchauffé à l’ombre des autels aux temps des persécutions, il lui avait donné le principe d’organisation auquel était dû son récent triomphe. Cependant le clergé catholique était, depuis la grande lutte de l’émancipation, il est encore, et pour long-temps, peut-être, un obstacle aux progrès réguliers, mais lents, obtenus par les voies constitutionnelles. Impatient dans ses vœux, violent dans leur expression, on le dirait plus enclin à user de la force dont il dispose qu’à la contenir. « Examinons, dit un de ses membres[1], la conduite des ecclésiastiques dans ces derniers temps, relativement à l’instruction du peuple. Lui ont-ils inculqué les principes de la religion catholique ? Ne se sont-ils pas trop souvent établis en hostilité ouverte contre la loi et les autorités constituées ? N’ont-ils pas toléré la sédition et l’insubordination la plus complète ? N’ont-ils pas paru mettre l’anarchie à l’ordre du jour ? Ont-ils inspiré aux fidèles des sentimens de modération et de paix, ainsi qu’ils l’auraient dû faire, comme ministres de l’Évangile et prêtres de l’église romaine ? C’est le titre de gloire de cette église d’enseigner à tous ses enfans le respect du pouvoir et des magistrats, et de ne contrevenir jamais à la paix publique et à la sécurité individuelle. Les ecclésiastiques irlandais n’ont peut-être pas été précisément les mobiles des désordres populaires, mais quelques-uns d’entre eux y ont joué un rôle trop éclatant, et comment méconnaître que l’impression générale dans le pays ne soit qu’ils donnent à ces désordres un assentiment absolu, quoique secret ? Ils ont suivi la multitude, au lieu de la guider, et ont laissé dénaturer entre leurs mains le dépôt sacré de la foi. »

Remontant au principe de ce désordre introduit dans l’église ca-

  1. M. Croly, prêtre catholique d’Ovens et Aglis.