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DE L’IRLANDE.

quence, de fixer un maximum pour chaque bénéfice à raison de son importance, en affectant aux besoins de l’état l’excédent constaté des propriétés ecclésiastiques.

Cette proposition continue depuis cinq années d’être débattue dans la chambre et dans la presse avec cette gravité patiente que les Anglais savent apporter dans la discussion des grands problèmes politiques. D’une part, on invoque les maximes du droit civil sur la subordination des intérêts individuels à l’intérêt général[1], et des précédens historiques dont les actes de la réformation ne sont pas le moins formidable ; de l’autre, on s’écrie que l’autorité séculière ne peut toucher à la fortune de l’église sans violer un droit sacré, sans porter un coup mortel à l’union des deux puissances, dont l’harmonie constitue la force sociale.

C’est raisonner juste dans deux ordres d’idées très-différens. Que l’église anglicane soit dans la position la moins favorable pour repousser le principe d’omnipotence politique sur lequel elle est elle-même assise, cela n’a pas besoin de démonstration ; mais ce qui n’en réclame pas davantage, c’est que la prétention d’administrer les revenus ecclésiastiques et de disposer de leur excédant, lorsque ce droit aura été reconnu par le parlement britannique, sera non plus le prélude d’un prochain changement, mais le gage d’une immense révolution irrévocablement consommée. De ce jour l’état aura absorbé l’église dans son existence politique. En place de l’édifice à l’ombre duquel tant de générations ont passé, on verra s’élever une société nouvelle, toute puissante en ce qui se rapporte aux intérêts matériels, mais déclinant toute compétence en ce qui touche à l’ordre religieux. Dans son sein s’agiteront, en vivant de leur vie indépendante et propre, ces diverses associations intellectuelles qu’une même foi rallie seule sous une hiérarchie librement acceptée. Il est douteux que l’église épiscopale puisse survivre, même en Angleterre, à cette épreuve décisive ; mais ce que personne ne saurait contester en ce qui concerne l’Irlande, c’est que cette crise n’y doive devenir pour l’anglicanisme le signal d’une dissolution inévitable.

Quoique accueillie cette année par la chambre des communes, la proposition désormais historique de M. Ward a échoué, comme cela devait être, devant l’impassible résistance des lords. Profitant, dans

  1. Au nombre des travaux importans provoqués par la discussion de cette grande affaire, on peut consulter, comme le manifeste du parti whig, une brochure publiée au retour de sir Robert Peel aux affaires en 1835 : On the national property and the prospects of the present administration and of their successors.