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MAHMOUD ET MÉHÉMET ALI.

nobles qualités qu’elle ne dispense qu’aux ames d’élite, un esprit porté aux grandes choses et une volonté puissante. Malheureusement elle ne lui a pas départi au même degré les lumières du génie. À un caractère de cette trempe, il eût fallu une intelligence vaste, pénétrante, lumineuse. Il n’y a que la réunion des deux puissances morales, la pensée et la volonté, qui fasse les grands hommes. Mahmoud est évidemment dépourvu de cette sagacité fine et étendue qui embrasse toutes les faces d’une question et saisit le vrai à travers les voiles qui l’enveloppent. La paix de Bucharest, la destruction intempestive des janissaires, sa rupture avec les puissances signataires du traité du 6 juillet, le téméraire défi jeté à la Russie à la fin de 1827, ce sont là de ces fautes comme la Providence en suggère aux princes qu’elle choisit pour servir d’instrumens à la ruine des empires. L’attitude du sultan, dans les deux crises les plus périlleuses de son règne, après la prise d’Andrinople et la bataille de Koniah, prouve qu’il n’a pas non plus la fécondité qui trouve des ressources là où le vulgaire croit tout perdu. Enfin il n’a pas non plus les sublimes inspirations d’un génie vraiment grand et civilisateur. Il a réformé de vieux abus, mais il ne s’est point élevé au rôle de législateur. Énergique pour renverser, il s’est montré impuissant à fonder.

Ici se présente une bien haute question. Quels peuvent être le sens précis et la portée de ces mots réforme et civilisation, appliqués à l’empire ottoman. Les opinions de l’Europe nous semblent à cet égard vagues et confuses. Si, par ces mots, l’on entend une réforme complète, qui s’étendrait aux intelligences comme aux choses matérielles, qui irait jusqu’à renouveler toutes les destinées du peuple musulman, à changer ses idées, ses mœurs et ses lois, et à les assimiler à celles de l’Europe chrétienne, nous nous hâtons de le déclarer, cette manière de comprendre une réforme en Turquie nous semble complètement erronée. Considéré dans son vaste ensemble, l’empire ottoman est peut-être l’état du globe qui se trouve naturellement placé dans les plus merveilleuses conditions de force et de puissance. S’il était habité par une population industrieuse, éclairée et compacte, gouverné par un pouvoir habile et civilisé, il serait le premier de la terre ; mais il lui manque la première de toutes les conditions pour être fort, l’unité. Sa population, en n’y comprenant point la race arabe, soumise en ce moment au sceptre de Méhémet-Ali, se partage en deux grandes masses, d’une part les Turcs, de l’autre les Grecs et les Slaves. Les premiers sont les maîtres ; ils ont conservé intacts les droits que leur ont donnés, il y a trois siècles, la victoire et la conquête ; ils règnent. Les seconds sont les vaincus ; ils portent