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que d’audace, et il n’entreprend jamais que ce qu’il peut accomplir. Certes, il n’eût jamais osé braver une puissance qui pouvait si facilement abîmer sa flotte et incendier ses chantiers ; il n’ignore pas que, s’il a les sympathies de la France, il n’en est pas de même de l’Angleterre, qui voit avec déplaisir le développement de ses forces. Si donc la Grande-Bretagne avait menacé à propos Méhémet-Ali, les troupes de ce dernier n’eussent point dépassé Saint-Jean d’Acre ; la Turquie eût conservé la Syrie, et elle n’eût point subi les flétrissures des traités de Koniah et d’Unkiar-Skelessi. L’Angleterre a manqué dans cette occasion de prévision ou de courage ; elle s’est laissé déborder par les évènemens. Lorsque Mahmoud désespéré, ne pouvant plus se sauver lui-même, implora son secours, il n’était plus temps, le moment d’agir pour elle était passé ; ce n’était pas lorsque les Égyptiens débordaient victorieux des flancs du Taurus dans les plaines de l’Asie mineure, que sa voix pouvait être entendue au Caire ; si puissante qu’elle soit, elle a contre elle, dans les crises du Levant, les inconvéniens de la distance. Il faut, si elle veut exercer une influence prépondérante dans ces contrées, qu’elle sache prévoir les évènemens de loin et se mette en mesure de les dominer ; sinon, elle se condamne à l’impuissance et laisse le champ libre à la Russie. Les nécessités de notre position nous enchaînaient alors à son système ; bien que nous soyons favorables à la puissance égyptienne, il ne pouvait entrer dans nos combinaisons de favoriser dans le vice-roi un projet dont l’effet inévitable devait être d’augmenter les embarras de la Turquie et l’influence russe sur le Bosphore. On a dit que l’Angleterre et la France, bien loin de comprimer l’ambition du pacha d’Égypte, auraient dû lui donner tout son essor, le pousser hardiment sur Constantinople, lui mettre en quelque sorte entre les mains le sceptre de la famille d’Othman, et lui confier à lui et à son fils la mission de réorganiser l’empire. C’est là une pensée brillante, mais qui porte sur des bases fragiles. La Russie avait fait la guerre à la Turquie en 1828 pour arrêter la réforme militaire ; comment admettre qu’elle fût restée passive en présence d’une révolution qui aurait eu pour but de relever cet empire ottoman qu’elle travaille depuis plus d’un siècle à détruire, révolution accomplie sous l’influence de l’Occident et dirigée contre elle ? Elle se fût hautement prononcée contre Méhémet-Ali et eût poussé les choses à l’extrême. Si l’Angleterre et la France avaient embrassé à leur tour la cause du vice-roi, la guerre générale, qu’elles s’efforçaient avec tant de peine de prévenir dans l’Occident, fût sortie inévitablement de la question d’Orient, et, en éclatant, elle eût pris