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MAHMOUD ET MÉHÉMET ALI.

Tandis qu’il organisait les élémens de sa grandeur future, il s’étudiait, dans ses relations avec la Porte, à ne lui fournir aucun prétexte, même le plus léger, d’irritation ni de mécontentement, montrant une ardeur empressée à exécuter tous ses ordres, prodigue de présens pour les membres du divan, conservant vis-à-vis du souverain l’attitude du vassal le plus soumis et le plus respectueux. Ainsi, au début de sa carrière, lorsque son autorité était encore chancelante et qu’il avait à combattre les Mamelouks, nous le voyons, docile aux ordres du grand-seigneur, marcher contre les Véhabites, compromettre ses ressources naissantes dans une entreprise pleine de périls, triompher enfin d’une secte redoutable, et mériter l’estime de tous les musulmans par la délivrance des lieux saints, Médine et la Mecque. Ainsi encore, dans cette guerre de Grèce qui, pour une ambition moins patiente, eût été une occasion si belle de lever le masque, sa fidélité, mise aux plus rudes épreuves, ne se démentit pas un moment. Ses troupes disciplinées, sa marine, son fils Ibrahim, il mit tout aux ordres de la Porte. Quelle amère douleur ne dut-il pas ressentir lorsqu’il apprit que les flammes avaient détruit à Navarin ses beaux vaisseaux qui faisaient son orgueil, et qu’il avait construits à si grands frais !

Tant d’obéissance et de respect ne parvint pas cependant à désarmer la jalousie de la Porte. Plus d’une fois il lui fallut échapper aux embûches des esclaves du sérail chargés par leur maître d’un message de mort. Toutefois il atteignit son but, qui était de se faire craindre du divan, et d’éviter, en ménageant son orgueil, tout conflit qui aurait arrêté le développement de sa puissance.

C’est dans la guerre de 1828 qu’il révéla pour la première fois ses projets d’indépendance. La Porte lui ayant demandé le concours de sa marine et de son armée, le vice-roi éluda, sous divers prétextes, l’exécution de ses ordres. Le moment était venu où il pouvait désobéir impunément. Tandis que la Russie détruisait les premiers essais de troupes régulières en Turquie, le pacha conservait intacte sa jeune armée. L’occasion d’utiliser son courage et de dicter des lois à la Porte, au lieu d’en recevoir, arriva enfin. En 1831, de malheureux fellahs, fuyant l’administration oppressive du vice-roi, s’étaient réfugiés sur les terres d’Abdullah, pacha de Saint-Jean-d’Acre. Méhémet-Ali les réclama comme lui appartenant à titre de sujets. Abdullah refusa de les lui livrer, disant que les Égyptiens n’étaient point sujets du vice-roi, mais de sultan Mahmoud, leur maître à tous. Évidemment, la prétention seule du pacha était une révolte