Page:Revue des Deux Mondes - 1839 - tome 18.djvu/499

Cette page a été validée par deux contributeurs.
495
MAHMOUD ET MÉHÉMET ALI.

créer une nouvelle armée. Les faits ont prouvé qu’elle n’avait que trop bien calculé. Arrêté dans son premier élan de réformes, épuisé d’argent et abattu, Mahmoud se trouva hors d’état de réparer ses malheurs ; il ne put retrouver son ancienne énergie ; une sorte de résignation apathique succéda à son ancienne ardeur, et lorsque Méhémet-Ali envahit la Syrie en 1832, il le trouva désarmé. Ici s’ouvre pour le sultan une nouvelle série d’infortunes plus grandes encore que toutes les autres.


La vie politique de Méhémet-Ali se divise en trois phases bien distinctes : dans la première, il jette les fondemens de sa puissance ; dans la seconde, il l’organise ; la troisième, qui n’est point encore accomplie, a pour but l’indépendance légale et l’hérédité.

Ce prince est né à la Cavale, petite ville de la Roumélie en 1769 ; son père Ibrahim-Aga commandait la garde chargée de la sûreté des routes ; il le perdit encore enfant, et il fut recueilli et élevé par le gouverneur de la Cavale. Des fonctions militaires obscures et des spéculations de commerce remplirent sa première jeunesse. La Porte ayant ordonné des levées de troupes en Macédoine pour aller combattre les Français qui occupaient l’Égypte, le commandement de trois cents hommes échut à Méhémet-Ali. Ce fut là le point de départ de sa fortune. L’Égypte était alors la proie d’une épouvantable anarchie. Les Français, les Mamelouks, les Turcs, les pachas, les Albanais, se la disputaient avec fureur, et la population, foulée par tous ces partis, gémissait sous d’affreuses exactions. À peine Méhémet eut-il mis le pied sur cette terre désolée, qu’il comprit qu’au milieu de cette anarchie, il y avait, pour une ambition habile et patiente, une grande place à conquérir. L’Égypte était sans maître ; il résolut de le devenir : pensée d’une audace extrême, car il n’était qu’un pauvre officier obscur, à peine obéi d’une poignée de soldats, sans le moindre crédit à Constantinople, ni dans le pays. Mais il avait une ame forte et hardie, une ambition vaste et sachant toutefois s’imposer des limites, une volonté opiniâtre et en même temps une sagacité merveilleuse pour mesurer les moyens au but et n’entreprendre jamais que ce qui était possible, de l’ardeur dans la poursuite du but et une grande indifférence sur le choix des moyens ; incapable de verser le sang inutilement, il ne l’était pas moins de reculer devant un crime nécessaire ; enfin, sans être un grand capitaine, il savait la guerre, avantage incomparable dans ces contrées, où l’individualisme est tout. Ses premiers soins eurent pour objet de se créer une force militaire qui