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ment de ces provinces et les a soustraites de fait à l’autorité de la Porte, pour les placer dans sa propre sphère d’action et d’influence. Aussi est-il juste de dire que sa ligne de frontières n’est plus sur le Pruth, mais sur le Danube. En Asie, elle a conquis Anapa, Poti, une partie du pachalick d’Akhiska et deux cents lieues de côtes de la mer Noire. Par cet agrandissement, elle a isolé les populations belliqueuses du Caucase de la Turquie, fermé les ports par lesquels elles pouvaient recevoir des secours, et préparé la soumission du pays montagneux compris entre la mer Noire et la mer Caspienne, qui la coupait de la Géorgie et protégeait si efficacement, de ce côté, la Perse et la Turquie d’Asie. Enfin, elle est parvenue à distraire de l’Arménie une multitude de familles chrétiennes et à les fixer sur son territoire. La Russie s’est donc jouée de sa parole et de la crédulité de ses alliés, puisque, malgré ses déclarations réitérées tant de fois qu’elle respecterait l’intégrité du territoire ottoman, elle l’a si fortement entamée. Mais, quelque importans qu’aient été pour elle ces agrandissemens, il est évident que ce ne fut pas l’esprit de conquête immédiate qui lui mit, en 1828, les armes à la main. Elle se jeta dans cette guerre sous l’empire d’une tout autre préoccupation. En détruisant les janissaires, Mahmoud avait ouvert à son peuple la voie des réformes. Ses premiers essais militaires avaient répondu à son attente. Quarante mille hommes disciplinés à l’européenne composaient déjà, en 1828, le fonds de sa nouvelle armée. Les soldats étaient d’une extrême jeunesse, les officiers inexpérimentés, sans connaissance des moindres élémens de la guerre : ce n’était là encore qu’une ébauche informe de nos armées régulières, et cependant ces conscrits imberbes et si mal commandés disputèrent pied à pied et avec un admirable courage les champs de bataille de la Bulgarie aux armées russes. Ils rivalisèrent avec elles de valeur et de fermeté ; ils se firent tous tuer au pied des Balkans plutôt que de céder. C’est afin de détruire cette armée naissante, de mettre pour long-temps le sultan dans l’impossibilité de s’en créer une autre, de tâcher ainsi d’étouffer dans son germe la réforme militaire des Turcs, que la Russie a entrepris la guerre de 1828. Cette pensée se résume dans l’article du traité d’Andrinople par lequel elle a imposé à la Porte l’énorme tribut de guerre de 110 millions de francs, remboursable en dix ans. Comme garantie du remboursement, elle devait occuper la Moldavie, la Valachie et la place de Silistrie. Elle savait que, dans l’état d’épuisement où était tombé l’empire, les ressources du sultan ne pourraient suffire pour satisfaire à la fois à ses engagemens et re-