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couronne. » Il faut le reconnaître, cette déclaration avait un double mérite ; elle était habile et franche : habile, car, d’une part, en séparant la question grecque de la question d’Orient proprement dite, la Russie se réservait toute la liberté de ses mouvemens contre la Turquie, et de l’autre, bien loin de se laisser entraîner dans la cause des puissances de l’Occident, c’était elle au contraire qui allait les compromettre dans sa propre cause vis-à-vis de la Porte ; franche, puisqu’elle ne prenait pas même la peine de déguiser ses projets hostiles contre la Turquie, Après un langage aussi net, les cours de Vienne, de Londres et de Paris, ne pouvaient plus rester dans le doute ; elles devaient savoir ce qui leur restait à faire.

Le protocole du 4 avril 1826 consacra, pour la première fois, le principe d’une intervention de la Russie et de l’Angleterre dans les affaires de Grèce. La France y donna son adhésion, et enfin de ce protocole et des négociations qui s’y rattachèrent sortit ce fameux traité du 6 juillet 1827, qui posa les bases de l’indépendance de la Grèce sous la suzeraineté nominale du grand-seigneur. L’Autriche fut invitée à fortifier, par son concours, la triple alliance : elle s’y refusa. On lui a reproché sa conduite comme un abandon des véritables intérêts de l’Occident. On a dit que si elle avait joint ses menaces à celles des trois cours, la Porte n’eût jamais osé résister à une ligue aussi formidable, et eût échappé, en acceptant le traité du 6 juillet, au désastre de Navarin. Ce reproche peut être fondé ; cependant, lorsqu’on mesure les fautes qui depuis furent commises par les puissances médiatrices, on ne s’explique que trop bien ces refus, et, quant à nous, nous ne nous sentons pas le courage d’en accuser le cabinet de Vienne.

Tout le monde a présens à la mémoire les évènemens qui suivirent le traité du 6 juillet, les premiers refus de Mahmoud, bientôt après la bataille de Navarin, l’obstination du sultan, enfin son divorce éclatant avec les puissances médiatrices, et le funeste isolement dans lequel il se plongea volontairement. Les fautes qu’il commit alors furent d’une gravité déplorable ; on peut dire qu’il n’eut pas un moment l’intelligence de sa situation ; toutes les nuances lui échappèrent : amis et ennemis, tout fut confondu à ses yeux. Il ne fut saisi que par le côté matériel des faits, et n’en découvrit point l’esprit. Poussé par un orgueil indomptable, marqué pour ainsi dire du sceau de la fatalité, il courut se jeter en aveugle dans un abîme sans fond, où il se perdit. Mais le sultan Mahmoud n’est point le seul qui ait commis des fautes peut-être irréparables dans cette crise de l’Orient.