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MAHMOUD ET MÉHÉMET ALI.

immense, enveloppa l’élite de l’armée russe. Tous les esprits doués du sens politique virent dans ce vaste complot le symptôme évident d’une irritation générale de la noblesse et de l’armée russes contre le système suivi à l’égard des Grecs par le fondateur de la sainte-alliance. Partout il n’y eut plus qu’une même conviction, c’est que le nouveau czar allait sortir des erremens de son frère et satisfaire les passions de son peuple en le précipitant sur la Turquie et en embrassant hautement la défense des Grecs.

Une ère nouvelle allait donc s’ouvrir pour la politique de l’Europe. Ce n’était plus au nom du statu quo européen, en évoquant le fantôme des révolutions, qu’il était possible aux cours de Vienne et de Londres de contenir la Russie ; il fallait des moyens plus tranchés, un frein plus puissant : d’abord les conseils, les prières, puis les menaces, enfin peut-être la force. Une première question dut les préoccuper. Les Grecs étaient à bout d’énergie. Après six années d’une lutte héroïque, ils succombaient enfin, et ils succombaient sous les coups mieux dirigés d’Ibrahim. L’humanité et la civilisation élevaient une voix suppliante pour qu’on sauvât les restes de ce malheureux peuple, et la Russie allait être la première à embrasser une cause dont elle ne pouvait plus ajourner la défense. Quel parti allaient prendre dans cette crise les puissances de l’Occident ? Permettraient-elles à la Russie d’intervenir seule ? Mais c’était lui livrer la Turquie. S’y opposeraient-elles ? Mais c’était tout à la fois compromettre la paix générale et faire une chose inhumaine ; c’était blesser le sens moral de toutes les populations chrétiennes et civilisées. Des deux côtés, il y avait difficultés et graves périls. Entre ces deux partis extrêmes il s’en présentait un autre, c’était de concourir avec la Russie à la pacification de l’Orient, et de l’enchaîner dans les liens d’une commune intervention. C’est à ce parti que s’arrêta l’Angleterre.

Des négociations s’ouvrirent au commencement de l’année 1826, par l’intermédiaire du duc de Wellington, entre les cours de Londres et de Saint-Pétersbourg, dans le but de convenir des bases d’une médiation pacifique dans le Levant. La Russie vit aussitôt le piége qui lui était tendu et fit au duc de Wellington cette déclaration connue de toute l’Europe : « Elle ne demandait pas mieux de renoncer à la direction exclusive des affaires de Grèce et à la perspective du protectorat qui en résulterait pour elle ; mais il n’en pouvait être ainsi de ses différends directs avec la Porte. L’empereur Nicolas n’entendrait jamais traiter comme question européenne une affaire entre lui et cette puissance, et touchant à la foi des traités et à l’honneur de sa