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autre chose qu’une troupe de prétoriens avides et indisciplinés. Il tenait au peuple par la composition de ses élémens, aux ulémas par son esprit religieux et fanatique ; il était la principale base de toute l’organisation militaire de l’empire. Sa destruction allait produire une perturbation et un vide immenses dans le corps politique et social, et laisser pendant long-temps l’empire sans défense. Rien n’était préparé pour l’établissement du nouveau système. L’organisation d’une grande armée régulière, disciplinée et instruite, était une tâche longue et laborieuse qui devait avoir ses phases marquées dans le temps. L’état militaire de l’Europe est un des produits de sa haute civilisation ; il fait corps avec elle ; il puise sa force et son éclat dans les découvertes les plus élevées de la science, et, comme la civilisation elle-même, il ne s’est développé que progressivement. Un tel système ne s’improvise point par la volonté d’un homme, quelque énergique qu’elle soit ; il lui faut la sanction des années et l’éducation des esprits. Si la Turquie s’était trouvée placée dans des conditions de paix et de sécurité profonde à l’intérieur comme à l’extérieur, elle aurait pu se jeter hardiment dans les voies d’une grande réforme militaire. Mais telle n’était point sa situation. La guerre de Grèce durait encore, et le moment approchait où toutes les relations de la Porte avec les cabinets de l’Europe allaient être troublées, où trois grandes puissances allaient s’interposer dans sa lutte avec ses sujets révoltés et lui demander, non plus seulement d’arrêter le cours de ses vengeances contre eux, mais encore de reconnaître leur indépendance. En 1826, la cause des Grecs était devenue celle de toute la population intellectuelle et lettrée de l’Europe. Partout on avait applaudi avec transport au réveil de ce peuple courageux, admiré et célébré les exploits de ses héros modernes ; maintenant ses misères arrachaient à l’Europe des cris de compassion : au récit des massacres de Scio et d’Ipsara, des cruautés qui désolaient la Morée, des succès d’Ibrahim qui menaçait d’exterminer jusqu’au dernier des Grecs, toutes les ames se troublaient, et imploraient le terme de tant de fureurs. Les gouvernemens ne pouvaient plus rester sourds aux vœux de l’opinion ; les froids calculs de la politique étaient obligés de céder aux cris de l’humanité ; la question grecque était devenue une question européenne. Ainsi s’approchait le moment d’une crise terrible pour la Porte ; et c’est en présence de pareils dangers que Mahmoud allait en quelque sorte désarmer son empire en détruisant le janissarisme, et attaquer la force morale de son peuple en abaissant les ulémas ! Il semble que la prudence lui conseillait d’ajourner l’exé-