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LE PRINCE DE TALLEYRAND.

et qu’ici ce droit n’existait point. « Pour qu’il y ait conquête, disait-il, il faut que la guerre ait été faite au possesseur du territoire, c’est-à-dire au souverain, droit de possession et souveraineté étant identiques. Mais lorsque la guerre est faite contre le détenteur illégitime du pays et pour son légitime possesseur, il ne saurait y avoir conquête ; il n’y a que recouvrement de territoire. Or, les hautes puissances ont considéré l’entreprise de Bonaparte comme un acte d’usurpation, et Louis XVIII comme souverain réel de la France ; elles ont agi en faveur de ses droits, elles ont donc dû les respecter. C’est l’engagement qu’elles ont pris dans la déclaration du 13 et dans le traité du 25 mars, où elles ont admis Louis XVIII comme allié contre l’ennemi commun. Si l’on ne peut pas conquérir contre un ami, à plus forte raison ne le peut-on point contre un allié. »

« Nous vivons dans un temps, ajoutait-il, où plus qu’en aucun autre il importe d’affermir la confiance dans la parole des rois. Les cessions exigées de S. M. très chrétienne produiraient un effet tout contraire après la déclaration où les puissances ont annoncé qu’elles ne s’armaient que contre Bonaparte et ses adhérens, après le traité où elles se sont engagées à maintenir contre toute atteinte l’intégrité des stipulations du traité du 30 mai 1814, qui ne peut être maintenue si celle de la France ne l’est pas, après les proclamations de leurs généraux en chef où les mêmes assurances sont données. »

Il les invita à considérer que la France conserverait le désir de recouvrer ce qu’elle ne croirait jamais avoir justement perdu ; qu’elle imputerait à crime à Louis XVIII ces cessions comme étant le prix de l’assistance étrangère ; qu’elles seraient un obstacle perpétuel à l’affermissement du gouvernement royal ; qu’elles altéreraient en outre un équilibre établi avec tant d’efforts en diminuant l’étendue que la France devait avoir et qui était nécessaire aujourd’hui, puisqu’elle avait été jugée nécessaire un an auparavant.

Mais cette invocation du droit public, cet appel aux engagemens contractés, ces hautes raisons de bonne foi, de sûreté, de prévoyance, ne prévalurent point contre des passions haineuses et des volontés inexorables. M. de Talleyrand n’était plus soutenu, comme en 1814, par l’empereur Alexandre, dont il avait contrarié les desseins à Vienne, et qui ne lui pardonnait pas le traité secret du 5 janvier, signé par l’Autriche, l’Angleterre et la France, contre la Russie et la Prusse. Quatre jours après la remise de la note des puissances, trois jours après l’envoi de sa réponse, M. de Talleyrand quitta le ministère. Il le quitta devant les excès du dedans et les volontés du