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LE PRINCE DE TALLEYRAND.

Il restait seulement quelque incertitude sur la possession du royaume de Saxe et du grand-duché de Varsovie. La Prusse, qui obtenait des compensations sur les deux rives du Rhin, voulait s’arroger le premier ; et la Russie, qui n’avait pas cessé de s’agrandir sous la révolution et sous l’empire, prétendait garder en entier le second, dont la population s’élevait presque à quatre millions d’ames, et que l’empereur Alexandre destinait à former un royaume de Pologne avec une constitution indépendante. L’Autriche cédait, sans hésiter, la Pologne, mais avait quelques scrupules sur le sacrifice entier de la Saxe, tandis que l’Angleterre abandonnait volontiers la Saxe et la Prusse, mais craignait d’agrandir la Russie de ce reste de la Pologne.

M. de Talleyrand changea les hésitations de l’Autriche et de l’Angleterre en refus et fit surgir de ces refus des inimitiés entre les quatre grandes puissances qui s’étaient unies par la crainte et qu’il divisa par l’intérêt. Arrivé à Vienne avec le principe de la légitimité au nom duquel il devait chercher à rétablir Ferdinand Ier sur le trône de Naples, il avait l’ordre et l’intention d’en couvrir le roi de Saxe, le seul prince de l’Allemagne qui, agrandi par Napoléon, fût resté jusqu’au bout fidèle à la France, et que les liens du sang unissaient d’ailleurs à la maison de Bourbon. M. de Talleyrand dit qu’il ne consentirait jamais à ce que le roi de Saxe fût dépouillé de tous ses états par la Prusse ; à ce que la Russie, possédant tout le grand duché de Varsovie, avançât ses frontières jusqu’à l’Oder et pesât de toute sa masse sur l’Europe. Il fit sentir à l’Autriche le danger du voisinage de la Prusse, à l’Angleterre celui de l’agrandissement de la Russie. L’empereur Alexandre essaya vainement de le ramener à ses vues en rappelant ce qu’il venait de faire en France et en menaçant de ce qu’il pouvait faire en Europe. N’ayant pas pu vaincre sa résistance, il dit avec humeur : « Talleyrand fait ici le ministre de Louis XIV. »

En effet, l’influence exercée par M. de Talleyrand fut telle, que la Prusse, pour garder la Saxe, offrit de céder à son roi tout le territoire situé entre la Sarre, la Meuse, la Moselle et la rive gauche du Rhin, qui devait lui servir de compensation à elle-même et qui éloignait trop de ce côté ses frontières de son centre. M. de Talleyrand refusa cette proposition de la Prusse. Ce fut une faute, et une faute grave. Gêné par ses instructions, il préféra le maintien du roi de Saxe dans son royaume amoindri, à son établissement sur la rive gauche du Rhin. Tandis que le roi des Pays-Bas occupait la Belgique, que la Bavière était à Spandau, que la confédération germa-