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génie plus grand, ses victoires plus inutiles, mais plus admirables. L’astre, avant de disparaître, jeta de magnifiques lueurs.

Ayant vaincu sans réussir, s’étant exposé sans être tué, Napoléon exécuta la troisième partie de son plan : il abdiqua.

C’est dans ce dénouement du drame impérial que M. de Talleyrand reparaît sur la scène et joue le principal rôle. Des ouvertures lui avaient été faites en 1813 pour qu’il reprît le portefeuille des relations extérieures ; mais il n’avait pu s’entendre avec l’empereur. Membre de la régence en qualité de vice-grand-électeur, il ne s’était point rendu avec elle à Blois, la garde nationale l’ayant arrêté avec l’architrésorier Lebrun à la barrière du Maine sans que cette violence apparente le contrariât et même le surprît. Resté dans Paris, il y était le plus important personnage et le seul grand fonctionnaire au moment où le sort des armes y fit entrer les étrangers victorieux.

Quand on n’a eu qu’une opinion, quand on n’a été l’homme que d’une seule cause, le jour où cette cause succombe, on se tient à l’écart et on s’enveloppe dans son deuil ; mais lorsqu’ayant traversé de nombreuses révolutions, on considère les gouvernemens comme des formes éphémères d’autorité, lorsqu’on a pris l’habitude de ne les admettre qu’autant qu’ils savent se conserver, on se jette au milieu des évènemens pour en tirer le meilleur parti. M. de Talleyrand n’était pas assez dévoué au régime impérial et il était trop accoutumé à se diriger d’après les circonstances pour hésiter. Il y avait, dans ce triste moment, trois choses à faire : un gouvernement à établir, des institutions à fonder, un traité à conclure.

M. de Talleyrand reçut dans son hôtel l’empereur Alexandre, et il devint auprès de lui et des autres souverains coalisés le négociateur de la situation. Il s’agissait d’abord de savoir quel serait le gouvernement de la France. L’empereur Alexandre hésitait entre l’établissement d’une régence et la restauration des Bourbons. M. de Talleyrand pensa que l’empire venant de succomber avec son fondateur, un enfant serait hors d’état de se maintenir sur un trône où n’avait pu s’affermir un grand homme ; que sans la puissance du génie, le secours de l’âge, la ressource de la gloire, il ne saurait résister aux idées nouvelles qui allaient reprendre leur cours, ni contenir le parti royaliste, qui recommencerait ses tentatives en reprenant ses espérances, et il se déclara hautement pour le retour des Bourbons, dont il voulut toutefois limiter l’ancien pouvoir par l’exercice des droits nationaux et la consécration des libertés publiques.