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LE PRINCE DE TALLEYRAND.

tantes négociations, l’empereur ne consulta pas sans utilité son ancien ministre et lui dit un jour avec regret : « Nous n’aurions pas dû nous quitter. » Ce fut entre eux le dernier témoignage d’accord.

L’empereur continua le cours de ses entreprises. Jusque-là il avait affaibli les autres pour se défendre lui-même ; mais alors il alla plus loin : emporté par sa position, il n’attendit plus d’être attaqué pour conquérir. Par l’invasion de l’Espagne, il souleva contre lui tout un peuple ; par l’enlèvement du pape, il encourut la redoutable hostilité du vieux et puissant principe avec lequel il avait cru devoir transiger au début de sa domination. M. de Talleyrand en aperçut le danger. Quel qu’ait été le moment où il désapprouva l’entreprise d’Espagne, il est certain qu’en 1809 il cacha si peu son blâme, que l’empereur irrité lui ôta, à son retour de la Péninsule, le titre de grand chambellan. Il s’était séparé des affaires, l’empereur l’éloigna de sa personne. Ainsi fut brisé le dernier lien qui rapprochait encore ces deux hommes, dont l’un pouvait tout tant que duraient les succès, et dont l’autre pourrait beaucoup si jamais commençaient les revers. Dès ce moment M. de Talleyrand devint plus frondeur, et l’empereur plus défiant. Dans des sorties peu mesurées Napoléon le blessa, et il eut le tort de le rendre mécontent sans le rendre impuissant.

C’est ainsi que se passèrent pour M. de Talleyrand les cinq dernières années de l’empire dont il prévit et calcula la chute dès 1812. En effet, lorsque Napoléon porta ses armes en Russie, attaquant une puissance presque inaccessible, tandis qu’il avait à résister aux attaques de l’Angleterre qui depuis dix ans ne lui avait laissé aucun repos, à comprimer l’insurrection de l’Espagne qu’il avait appelée lui-même un 14 juillet contre sa conquête, à ranimer la lassitude de l’Allemagne dont la patience était à bout, à craindre le soulèvement de la Prusse amoindrie et humiliée, à surveiller l’opiniâtre ressentiment de l’Autriche dont les mariages ne changeaient pas les maximes, et qui aspirait à recouvrer les huit millions d’habitans qu’elle avait successivement perdus par les traités imposés à ses défaites, M. de Talleyrand considéra sa fin comme très prochaine.

Ayant à examiner ici comment M. de Talleyrand fut conduit à jouer le rôle extraordinaire qui lui échut ou qu’il prit en 1814, il est nécessaire de signaler les dernières ouvertures de paix faites par l’Europe à l’empereur. Napoléon eut deux momens où il lui fut permis de traiter avec honneur, à Prague avant le désastre de Leipzig, à Francfort avant l’entrée des coalisés en France. À Prague, il aurait obtenu le maintien d’une partie de ses établissemens euro-