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Il se demandait dès-lors quel était le nouveau système de rapports qui, supprimant tout principe de mésintelligence entre la France et l’Autriche, séparerait les intérêts de l’Autriche de ceux de l’Angleterre, les mettrait en opposition avec ceux de la Russie, et par cette opposition garantirait l’empire ottoman et fonderait un nouvel équilibre européen. Telle était la position du problème. Voici quelle en était la solution. Il proposait d’éloigner l’Autriche de l’Italie en lui ôtant l’état vénitien, de la Suisse en lui ôtant le Tyrol, de l’Allemagne méridionale en lui ôtant ses possessions de Souabe. De cette manière, elle cessait d’être en contact avec les états fondés ou protégés par la France, et elle ne restait plus en hostilité naturelle avec elle. Pour surcroît de précaution, l’état vénitien ne devait pas être incorporé au royaume d’Italie, mais être interposé comme état républicain et indépendant, entre ce royaume et l’Autriche. Après avoir dépouillé celle-ci sur un point, il l’agrandissait sur un autre, et lui donnait des compensations territoriales proportionnées à ses pertes, afin que, n’éprouvant aucun regret, elle ne fît aucune tentative pour recouvrer ce qui lui aurait été enlevé. Où étaient placées ces compensations ? Dans la vallée même du Danube, qui est le grand fleuve autrichien. Elles consistaient dans la Valachie, la Moldavie, la Bessarabie, et la partie la plus septentrionale de la Bulgarie.

Par là, disait-il en concluant, les Allemands seraient pour toujours exclus de l’Italie, et les guerres, que leurs prétentions sur ce beau pays avaient entretenues pendant tant de siècles, se trouveraient à jamais éteintes ; l’Autriche, possédant tout le cours du Danube et une partie des côtes de la mer Noire, serait voisine de la Russie et dès-lors sa rivale, serait éloignée de la France et dès-lors son alliée ; l’empire ottoman achèterait, par le sacrifice utile de provinces que les Russes avaient déjà envahies, sa sûreté et un long avenir ; l’Angleterre ne trouverait plus d’alliés sur le continent, ou n’en trouverait que d’inutiles ; les Russes, comprimés dans leurs déserts, porteraient leur inquiétude et leurs efforts vers le midi de l’Asie, et le cours des évènemens les mettrait en présence des Anglais, transformant en futurs adversaires ces confédérés d’aujourd’hui.

Ce beau projet, M. de Talleyrand ne se contenta pas de le soumettre à l’empereur après le succès d’Ulm. Le jour même où il reçut, à Vienne, la grande nouvelle de la victoire d’Austerlitz, il écrivit à l’empereur : « Votre majesté peut, maintenant, briser la monarchie autrichienne ou la relever. L’existence de cette monarchie, dans sa masse, est indispensable au salut futur des nations civilisées… Je