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alors que, par un bref particulier, M. de Talleyrand reçut du pape l’autorisation, qu’il s’était donnée tout seul dix années auparavant, de rentrer dans la vie civile.

La pacification intérieure fut suivie d’une pacification générale, que facilitèrent les victoires de Marengo et d’Hohenlinden. M. de Talleyrand en fut le négociateur. Le traité de Lunéville, qui étendit en Allemagne l’esprit de la révolution en sécularisant les principautés ecclésiastiques ; le traité d’Amiens, qui fit reconnaître par l’Angleterre les conquêtes de la France et les œuvres de la révolution sur le continent ; la consulte de Lyon, qui constitua la république cisalpine, furent les grandes transactions politiques auxquelles M. de Talleyrand eut à cette époque la principale part.

Mais la guerre ayant recommencé un peu plus tard avec l’Angleterre, les complots de l’émigration suivirent de près le retour des hostilités. Le premier consul, qui, en 1802, avait miraculeusement échappé à l’explosion de la machine infernale, se voyant en butte à de semblables périls, voulut faire trembler ceux qui voulaient le faire tuer. Excité par l’indignation et entraîné par les apparences, il porta sa terrible main sur le plus jeune et le plus chevaleresque des princes de la maison de Bourbon, qui, placé à une marche de la frontière du Rhin, attendait, par ordre du conseil privé d’Angleterre, ce qui allait éclater en France, sans y tremper, et même, à ce qu’il paraît, sans le savoir. Le duc d’Enghien, amené le soir au château de Vincennes, y fut jugé dans la nuit, et y reçut la mort comme complice de ceux qui avaient projeté celle du premier consul. M. de Talleyrand fut-il mis dans le secret de ces meurtrières représailles, ou concourut-il seulement à l’arrestation du duc d’Enghien sans connaître le sort qui lui était réservé ? Rien n’indique qu’il ait été consulté sur cet acte sanglant, qui d’ailleurs était contraire à sa douceur et à sa modération naturelles. Mais, il faut le dire, M. de Talleyrand a coopéré, en exécution des ordres du premier consul, à l’enlèvement du duc d’Enghien sur un territoire étranger, et, ministre des relations extérieures, il a consenti à la violation d’un principe sacré du droit des gens. Si, dans la fougue de son ressentiment et pour la sûreté de sa personne, le premier consul ne tenait aucun compte de la seule sauvegarde des états faibles, celui qui en était le conservateur obligé ne devait pas au moins la méconnaître.

Le premier consul sut tirer parti des dangers qu’il avait courus ; il se fit empereur. Il voulut monter plus haut pour que les complots pussent moins facilement l’y atteindre, et rendre son pouvoir héré-