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politiques, il y siégea à son arrivée et il en devint secrétaire. Il paya le tribut de ses observations et de ses pensées en y lisant deux mémoires tout-à-fait supérieurs sur les Relations commerciales des États-Unis avec l’Angleterre, et sur les avantages à retirer des colonies nouvelles après les révolutions. Le premier de ces mémoires était un tableau complet de l’Amérique du Nord dont M. de Talleyrand jugeait l’état politique avec le sens ferme d’un homme formé dans les révolutions, exposait les relations commerciales en économiste savant, retraçait les mœurs en observateur que tout frappe, et reproduisait l’aspect avec les couleurs naturelles qui peignent d’autant mieux les objets qu’elles les reproduisent dans toute leur simplicité. Le second contenait des vues élevées sur l’établissement de colonies destinées à réparer la perte des anciennes et à faciliter la fin et l’oubli des révolutions. M. de Talleyrand y proposait d’ouvrir de nouvelles routes à tant d’hommes agités qui avaient besoin de projets, à tant d’hommes malheureux qui avaient besoin d’espérances.

Avec sa haute capacité, M. de Talleyrand ne pouvait pas rester long-temps étranger au gouvernement de son pays. Les circonstances lui étaient favorables, car il fallait à la révolution des politiques habiles qui achevassent l’œuvre de ses irrésistibles soldats. L’Europe, pénétrée d’un effroi respectueux, s’empressait de la reconnaître pour l’arrêter. Déjà les rois d’Espagne et de Prusse avaient traité avec elle à Bâle, et le roi de Sardaigne lui avait fait sa soumission à Cherasque, lorsque M. de Talleyrand devint ministre des relations extérieures sous le directoire. Ce fut alors que se réalisèrent les idées qu’il avait émises en 1792 sur l’extension du principe démocratique par la guerre et sa consolidation par la paix. D’une part, les républiques ligurienne, cisalpine, romaine, helvétique, batave, se fondèrent sur le modèle français ; de l’autre, la paix de Campo-Formio, conclue avec la maison d’Autriche par le puissant négociateur qui l’avait vaincue, les conférences de Rastadt avec l’empire d’Allemagne et les pourparlers de Lille avec l’Angleterre, semblaient annoncer la résignation universelle de l’Europe à notre liberté et à notre grandeur.

Malgré les éclatans triomphes de la révolution, le directoire était trop faible pour que M. de Talleyrand crût à sa durée. Il le servait sans illusion, et son regard, plus perçant que celui de tout le monde, avait déjà vu poindre sur l’horizon de l’Italie son infaillible successeur. Il savait que l’imagination humaine a besoin d’enthousiasme, et que l’imagination française surtout ne saurait s’en passer long-temps. À un peuple qui ne veut pas rester dans l’indifférence, il faut