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LE PRINCE DE TALLEYRAND.

leyrand, qui commençait sa carrière diplomatique par où il l’a finie, poursuivant, à quarante ans de distance, le même but, dans le même pays.

Revenu à Paris peu de temps avant le 10 août, il fut témoin de la chute du trône. Cette catastrophe et ses terribles suites lui inspirèrent le désir de retourner promptement à Londres. Quoiqu’il n’y fût chargé d’aucunes fonctions, voulant être encore utile à la cause de la révolution, sinon par ses actes, du moins par ses conseils, il lui adressa des règles de conduite extérieure, empreintes d’une modération prévoyante. Il dit à la nouvelle république qu’elle devait se montrer désintéressée en devenant victorieuse ; que le territoire de la France suffisait à sa grandeur et au développement futur de son industrie et de sa richesse ; qu’il était de son utilité comme de son honneur de ne rien y ajouter par la conquête ; que toute incorporation de pays serait une cause de péril pour elle, en excitant de plus nombreuses inimitiés, et une atteinte à sa gloire, en démentant les déclarations solennelles faites au commencement de la révolution, et que sa politique serait plus habile en se fondant, non sur l’acquisition des territoires, mais sur l’émancipation des peuples.

Peu de temps après la communication de ses vues, dont les passions ne pouvaient permettre d’aucune part l’accomplissement, la révolution devint plus violente et l’Angleterre cessa d’être neutre. Aussi, M. de Talleyrand fut-il décrété d’accusation par le parti de Robespierre et reçut-il de M. Pitt l’ordre de quitter Londres en vingt-quatre heures. L’Europe lui était entièrement fermée, et il se rendit en Amérique avec M. de Beaumetz, son collègue à la constituante. Il y vécut plus de deux ans. Fatigué de son exil et de son inaction, il était près de s’embarquer sur un navire qu’il avait frété pour les grandes Indes, lorsqu’il apprit qu’un décret de la convention, devenue indépendante et modérée, le rappelait en France. Ce décret, provoqué par Chénier qui le demanda au nom des services que M. de Talleyrand avait rendus à la révolution, lui ouvrit, en même temps que le chemin de la patrie, les portes de l’Institut et bientôt l’accès des affaires.

L’Institut national avait été fondé vers cette époque, et, quoique encore absent, M. de Talleyrand en avait été nommé membre. Cet hommage était dû à celui qui, dès l’assemblée constituante, avait proposé l’établissement de ce grand corps et lui avait donné d’avance le nom que tant de travaux et tant d’hommes illustres ont rendu immortel. Appelé à faire partie de la classe des sciences morales et