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LE PRINCE DE TALLEYRAND.

que-là immobilisée de son territoire, M. de Talleyrand s’associa à une mesure destinée à placer encore plus le clergé dans la dépendance de l’état, en le soumettant à une constitution civile. Cette constitution ne portait pas atteinte à la croyance, mais aux usages de l’église ; elle était moins un empiétement religieux qu’une faute politique. M. de Talleyrand, sans avoir été au nombre de ceux qui la provoquèrent, lui donna toutefois son assentiment. Il se prononça néanmoins avec force pour que les membres du clergé, qui n’obéiraient pas à la loi, jouissent de sa protection et pratiquassent librement le culte catholique. Presque tous les anciens évêques ayant refusé de prêter le serment exigé d’eux, les électeurs nommèrent leurs successeurs auxquels l’évêque d’Autun et l’évêque de Lida donnèrent l’institution canonique. Alors M. de Talleyrand, qu’on avait mis dans l’église malgré lui, brouillé avec le clergé de son diocèse, menacé d’excommunication par le pape, refusa d’être nommé archevêque de Paris, donna sa démission de l’évêché d’Autun et rentra dans la vie civile.

Peu de temps après, M. de Talleyrand, qui, avant la révolution, avait reçu la première confidence de Sieyès sur la fameuse brochure Qu’est-ce que le tiers-état ? recueillit les dernières pensées de Mirabeau. Leur liaison, long-temps étroite, avait cessé depuis le jour où Mirabeau avait vendu et publié les lettres secrètes sur la cour de Berlin, écrites au moment de la mort du grand Frédéric et dans une mission qu’il devait surtout à l’entremise de M. de Talleyrand. Mais lorsqu’il fut frappé de la maladie soudaine qui plongea tout Paris dans la stupeur et qui l’enleva si tôt à l’admiration publique, M. de Talleyrand se réconcilia avec lui. Mirabeau ayant exprimé le désir de le voir, il fut conduit le 1er avril au chevet de son lit ; « Une moitié de Paris, lui dit-il, reste en permanence à votre porte ; j’y suis venu, comme l’autre moitié, trois fois par jour, pour avoir de vos nouvelles, en regrettant amèrement, chaque fois, de ne pas pouvoir la franchir. » Il demeura deux heures seul avec le glorieux mourant que toucha ce retour d’amitié et qui lui remit son discours sur la loi des successions en ligne directe pour le lire à l’assemblée. Aussi, le lendemain, quelques heures après la mort de Mirabeau, M. de Talleyrand étant monté à la tribune pour accomplir ce devoir, l’émotion de l’assemblée fut inexprimable, lorsqu’il dit : « M. Mirabeau n’est plus ; je vous apporte son dernier ouvrage, et telle était la réunion de son sentiment et de sa pensée également voués à la chose publique, qu’en l’écoutant vous assistez presque à son dernier soupir. »