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versel ; l’abbé de Périgord, agent général du clergé de France, de concert avec son ami le comte de Choiseul-Gouffier, arma un corsaire contre les Anglais. Le maréchal de Castries, ministre de la marine, leur fournit les canons. L’armement d’un corsaire par un abbé peint ce temps singulier où le pape Benoît XIV avait reçu de Voltaire la dédicace de Mahomet, et où la cour allait applaudir aux saillies de Beaumarchais contre la noblesse.

L’esprit était le vrai souverain de l’époque. Il avait tout effacé sans rien détruire encore. Il avait rendu l’autorité plus douce, le clergé plus tolérant, la noblesse plus familière. Il avait rapproché les personnes sans confondre les classes. Il avait introduit une fleur de politesse et un charme de savoir-vivre dans cette vieille société qui semblait avoir perdu ses passions pour ne conserver que des manières. On était heureux et confiant, car on l’est toujours dans les momens où les révolutions ne s’opèrent encore que dans les intelligences, où l’on ne change que les idées, où les croyances qui succombent ne font encore souffrir personne, où l’action qui s’exerce est purement morale, et où l’enthousiasme de ce qu’on espère ne permet pas de regretter ce qu’on perd. C’est au milieu de ce temps et de ce monde que vécut M. de Talleyrand, appartenant à l’école qui avait Voltaire pour maître, des souverains et de grands seigneurs pour disciples, les droits de l’esprit pour croyance et les progrès de l’humanité pour dessein.

Le moment de la révolution, annoncé par les nouvelles idées, approchait. M. de Talleyrand, nommé évêque d’Autun en 1788, fit partie de l’assemblée des notables réunis bien plus pour constater les besoins publics que pour y satisfaire. Lorsque les états-généraux, seuls capables d’opérer les réformes, eurent été convoqués, M. de Talleyrand prononça, devant le clergé des quatre bailliages de son diocèse qui le choisit pour son député, un discours dans lequel, grand seigneur, il aspirait à l’égalité des classes et à la communauté des droits ; évêque, il réclamait la liberté des intelligences. C’est avec ces engagemens qu’il entra dans les états-généraux, où il devint un des coopérateurs les plus zélés de la révolution populaire. Il mit au service de cette grande cause son habileté, comme Sieyès y mit sa pensée, Mirabeau son éloquence, Bailly sa vertu, Lafayette son caractère chevaleresque, et tant d’excellens hommes leur esprit et leur dévouement.

À peine M. de Talleyrand fut-il introduit dans l’assemblée constituante, qu’il y prit sa place naturelle, celle qui lui était assignée