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LE PRINCE DE TALLEYRAND.

à-propos, de s’aider du temps sans le devancer, de se servir des volontés sans les contraindre.

Lorsqu’il eut achevé ses études théologiques, il entra dans le monde sous le nom d’abbé de Périgord. Contrarié dans ses goûts, il y entra en mécontent, prêt à y agir en révolutionnaire. Il y obtint, dès l’abord, la réputation d’un homme avec lequel il fallait compter, et qui, ayant un beau nom, un grand calme, infiniment d’esprit, quelque chose de gracieux qui captivait, de malicieux qui effrayait, beaucoup d’ardeur contenue par une prudence suffisante et conduite par une extrême adresse, devait nécessairement réussir.

Ses parens, qui l’avaient tenu long-temps au séminaire pour l’entretenir dans leurs vues, le conduisirent au sacre de Louis XVI. Ils pensèrent que le jeune sulpicien serait ébloui par ces magnifiques pompes de l’église, et que l’ambition viendrait en aide à la vocation. Mais l’expérience ne réussit que jusqu’à un certain point, et, deux années après, Voltaire ayant quitté Ferney pour revoir la France avant de mourir, l’abbé de Périgord montra pour lui un empressement plus volontaire. Pendant ce voyage où le célèbre vieillard jouit de sa domination alors acceptée comme son génie, où il bénit le fils de Francklin au nom de Dieu et de la liberté, et où il expira des fatigues de sa gloire, M. de Talleyrand lui fut présenté et le vit deux fois. Voltaire fut la première puissance devant laquelle il s’inclina. Il conserva de ces entrevues, dans lesquelles l’esprit ne manquait certainement d’aucune part, des souvenirs ineffaçables. Il aimait à en parler jusque dans les derniers temps de sa vie, et la vivacité de son admiration pour Voltaire ne s’affaiblit jamais. On le conçoit d’autant plus qu’il y avait entre eux quelque chose d’analogue : M. de Talleyrand, par la grace de son esprit, la simplicité de son bon sens, et le naturel exquis de son langage, était de la famille même de Voltaire.

Ses admirations assez peu orthodoxes ne l’empêchèrent pas de devenir deux ans après, en 1780, agent général du clergé de France. Ces fonctions, qu’il exerça pendant huit ans, étaient très importantes. L’église de France avait alors de vastes propriétés, des revenus considérables, des assemblées régulières, se gouvernait et s’imposait elle-même. Son agent général était son ministre. C’est là que M. de Talleyrand apprit les affaires. Il avait la réputation d’un homme spirituel ; il acquit celle d’un homme capable. Le haut clergé n’était point alors séparé du monde et ne demeurait pas étranger à ce qui s’y passait, et je citerai à ce sujet un fait qui montrera jusqu’à quel point il s’en mêlait. La guerre d’Amérique excitait un intérêt uni-