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cafés, institution nationale de Venise ; la gloire, ses trophées et ses chefs-d’œuvre. L’histoire patriarcale et familière a ses souvenirs, l’humble patron des pêcheurs en face du lion ailé de Saint-Marc ; et, pour lier l’un à l’autre ces deux centres de la vie vénitienne, la plus belle voie de commerce du monde, le quai des Esclavons, bordé par la mer et prolongé par le grand canal.

À Rome, les proportions sont plus grandes encore. Partez du pied de la colline des Jardins, rapprochez-vous du Tibre, parcourez le Champ-de-Mars, pénétrez dans le Pomœrium par la porte triomphale, traversez de là le Forum, montez sur le Palatin, enfoncez-vous jusqu’à l’extrémité du grand cirque. C’est cet espace de trois ou quatre milles de longueur qui est la Rome solennelle, monumentale, et publique. Le Forum, siége de ses délibérations, le Champ-de-Mars, théâtre de ses récréations viriles, enfin le Capitole, se rejoignent par une foule de monumens : c’est la colline des Jardins et sa verdure entremêlée de mausolées ; au bas, la voie Flaminia bordée de statues, et le champ d’Agrippa, que ce seul homme a couvert de monumens ; c’est cette immensité de portiques où se promène la foule paresseuse, tandis que la foule active et jeune lutte dans le Champ-de-Mars ou nage dans le Tibre ; c’est l’Area du Capitole, forum des dieux, les toits dorés du Palatin, séjour d’un dieu plus grand, César ; c’est la longue enfilade des marchés, les Septa Julia, la Voie Sacrée, théâtre des flâneuses rêveries d’Horace[1], la Rome boutiquière et marchande ; c’est enfin le Forum, la maison de ville des Romains en plein air, ou comme ils disent en plein Jupiter (sub dio), le Forum avec ses temples, ses basiliques retentissantes de la clameur du barreau et de la bourdonnante trépidation du commerce ; avec le sénat et les rostres, muets emblèmes de la liberté morte ; les portiques et les bains, vivans symboles de la volupté toujours vivante ; avec le lupercal et le comice, souvenirs paternels de la Rome antique ; la colonne dorée, ombilic du monde, d’où partent toutes les voies de l’empire et d’où les distances se comptent jusqu’à la Clyde d’un côté et jusqu’à l’Euphrate de l’autre : place unique dans le monde, qui, avec ses quelques toises de terrain, tient dans l’histoire plus d’espace que des royaumes entiers.

Rome ne s’est pas départie de son centre. Voyez comme elle fourmille au Forum ; c’est là que bat son cœur ; ses veines y aboutissent ;

  1. Ibam forté Viâ sacrâ, sicut meus est mos
    Nescio quid meditans nugarum, totus in illis
    .