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REVUE. — CHRONIQUE.

gué de notre inaction, il nous offrira généreusement d’en construire le prolongement sur notre territoire jusqu’à Paris. Alors, si, par un hasard en dehors de toute vraisemblance, l’ancien président de la chambre des députés se trouvait à la tête du ministère, il accepterait sans doute l’offre de nos voisins, lui qui ne veut ni que l’état fasse des chemins de fer à ses frais, ni que les compagnies particulières, impuissantes à accomplir seules ces grandes entreprises, soient aidées d’une manière quelconque par les ressources du trésor ! Personne plus que M. Thiers, nous le disons bien sincèrement, ne devrait se féliciter, s’il arrivait aux affaires, de ce que la question belge ait reçu une solution pacifique et conforme à ces nécessités européennes qu’il avait toujours si habilement reconnues et si courageusement proclamées, soit qu’il défendît le système de Casimir Périer, soit que, ministre du 11 octobre, il complétât, par une éloquence entraînante, la raison un peu froide du duc de Broglie, soit que, président du 22 février, il suffît, pendant une session difficile, à tout contre tous. Nous n’avons pas oublié que, dans la discussion de l’adresse, M. Thiers, sans attaquer de front l’adhésion définitive du ministère au traité des 24 articles, avait émis des doutes sur sa décision et sa fermeté dans cette affaire, avait demandé si l’on n’aurait pas pu obtenir davantage en faveur de la Belgique, ou réclamer au moins de nouveaux ajournemens. Non, nous ne l’avons pas oublié, nous qui alors consacrions tous nos efforts à démontrer qu’il était impossible de revenir sur les engagemens solennels de 1831, et qui avons constamment soutenu cette opinion dans l’intérêt même de la Belgique, nous qui croyons avoir eu raison et sur le fait et sur le droit. Mais nous sommes convaincus que les partisans de la résistance au traité, en Belgique comme en France, se faisaient alors illusion sur le véritable état des choses, n’avaient pas bien étudié toutes les phases de la question, prenaient pour un changement de politique ce qui était l’inévitable conséquence de tous les engagemens contractés, de toutes les négociations suivies, de toutes les mesures adoptées depuis sept ans ; et nous maintenons que prendre la citadelle d’Anvers pour la remettre à la Belgique, et faire rendre Venloo au roi des Pays-Bas, ç’a été une seule et même chose, les deux termes indispensables d’une même opération, la double et complète application d’un même principe. Aussi bien nous n’hésitons pas à croire que M. Thiers, ministre des affaires étrangères à la place de M. Molé, n’aurait fait ni plus ni moins que lui, et qu’il aurait subi, à regret sans doute, comme M. Molé, une grande et fatale nécessité, créée, indépendamment de l’un et de l’autre, par des événemens plus forts qu’eux, des traités antérieurs à eux, des relations politiques et internationales sur lesquelles ils ne pouvaient rien. Je me trompe : ils y pouvaient quelque chose, mais à une condition, c’était de renoncer à leurs antécédens et à leur caractère. M. Molé ne l’a pas fait. Nous croyons que M. Thiers ne l’eût pas fait non plus, car nous ne sachions pas qu’il soit allé s’asseoir entre M. Arago et M. Garnier-Pagès au banquet des prétendus députés du congrès belge. Au reste, M. Thiers trouvera bientôt, il a peut-être déjà trouvé l’occasion de s’entretenir sur les données réelles de la question belge, qui sont tout autres que celles du jour-