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REVUE. — CHRONIQUE.

Soult ; mais ensuite ses fausses démarches, son peu de connaissance du terrain parlementaire, sa facilité pour certaines manœuvres qu’il fallait déjouer du premier coup, ont prouvé qu’il jugeait mal l’ensemble et les nécessités de la situation. Il n’a jamais vu assez clairement à quel prix tels hommes étaient possibles, quelles conditions ou quelles circonstances rendaient tels autres impossibles ; excluant, pour reprendre ensuite de mauvaise grace, et accueillant, sans pouvoir les conserver, des élémens incompatibles, entre lesquels il fallait savoir choisir. Ainsi, pour ne parler que d’un fait récent, comment expliquer et comment qualifier, lors d’une tentative de rapprochement entre M. Thiers et le maréchal Soult, cette offre du ministère des finances ou de l’intérieur, faite sérieusement de la part du maréchal à celui de ses futurs collègues qui, depuis le commencement de la crise, avait été invariablement destiné au ministère des affaires étrangères ? Qu’aurait pensé le maréchal Soult si M. Thiers, à titre de transaction, avait demandé qu’il renonçât à la présidence du conseil ou prît la marine au lieu de la guerre ?

Cependant on assure que le maréchal Soult est mis à une dernière épreuve. M. Passy ayant résigné avec une précipitation qui nous étonne les pouvoirs que le roi lui avait confiés, le maréchal Soult a repris sa mission suspendue. Quelles sont les chances de succès de cette nouvelle tentative ? Nous l’ignorons. M. Passy est un des hommes de qui dépend le plus, à cette heure, la solution des difficultés qu’il a contribué pour sa part à faire naître. En effet, si M. Passy, qui a déjà été ministre sous la présidence de M. Thiers, n’avait pas déclaré que cette fois il ne s’y soumettrait pas, peut-être M. Thiers aurait-il pu hier revenir sur le refus qu’il avait opposé aux offres du roi, de prendre pour lui-même la présidence du cabinet centre gauche. Maintenant, que va faire M. Passy ? Quand les difficultés ne viennent pas de M. Thiers, consentira-t-il demain à ce qu’il repoussait il y a quinze jours, à entrer dans un cabinet dont M. Thiers ne serait pas ?


P. S. Encore une conversation parlementaire ! Les interpellations des 22 et 23 avril ont eu aujourd’hui une sorte d’appendice ; mais cette fois c’est M. Dupin, qui, pour nous servir de ses propres paroles, est venu offrir à la chambre des explications sur la dernière rupture. Ces explications, loin de justifier le procureur-général de la cour de cassation, ont été, pour sa réputation d’homme politique, d’un effet déplorable. Elles l’ont montré changeant du jour au lendemain de résolution, acceptant le dimanche une position personnelle et une formation de cabinet dans lesquelles le lundi il devait apercevoir les plus graves inconvéniens. Il faut lui rendre sans doute cette justice, qu’il n’a pas craint d’assumer sur lui, sur le compte de son originalité, toute la responsabilité de son changement, et qu’il a rendu, comme il le devait, cet éclatant témoignage à la couronne, qu’elle n’avait suggéré aucune objection, et qu’elle n’était intervenue dans tout ceci que pour donner son consentement et sa signature. Cette fois M. Dupin a pris trop de licences pour satisfaire son individualité, et ce qu’il appelle sa liberté d’homme politique. Sans doute, comme