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REVUE. — CHRONIQUE.

à la dynastie de juillet un immense service, si l’on élargissait insensiblement la base du système gouvernemental, et si, au lieu d’étendre les limites de l’opposition, on parvenait, au contraire, à les resserrer. N’est-ce pas là, en effet, le but suprême que doit se proposer le gouvernement de la révolution de juillet ? L’opposition, représentée par les 193 voix qui ont porté M. Odilon Barrot à la présidence contre M. Passy, est trop forte de moitié. Il est de toute nécessité que le centre gauche et la partie de la gauche qui en est le plus près cessent d’y figurer, et passent désormais sous une bannière ministérielle. Il ne peut être dans l’intérêt d’aucun pouvoir que le nombre de ses ennemis soit si grand ; et c’est pour cela que nous regardons comme très hasardeuse la combinaison tentée il y a quelques jours et maintenant reprise, qui réunirait les doctrinaires, les 221, le maréchal Soult et M. Passy avec les siens. Nous craignons que l’opposition ne demeure trop puissante contre un ministère ainsi composé. La présence des doctrinaires, qui certainement y joueront un grand rôle, en aura bientôt détaché quelques-uns des hommes du centre gauche que M. Molé avait habilement ralliés au ministère du 15 avril, et cette administration sans homogénéité sera à la merci du premier accident. D’ailleurs, le fait qui dominera tout, c’est l’éloignement et l’opposition forcée de M. Thiers ; et ce qui nous confond, c’est qu’avec l’expérience des trois dernières années sous les yeux, on n’ait pas mieux compris partout de quelle importance il est pour le gouvernement actuel que M. Thiers n’en soit pas déclaré l’adversaire par une opiniâtre et éternelle exclusion.

On ne saurait se le dissimuler : depuis que la couronne, en dissentiment avec M. Thiers sur la question d’Espagne, a pris le parti de se priver de ses services, la situation a été pénible et a toujours paru précaire. Les fautes commises sous le 6 septembre, fautes qu’il a été nécessaire de réparer par le sacrifice de M. Guizot, ont reporté l’attention générale sur le président du conseil du 22 février. Le programme de politique que, dans les premiers jours du 15 avril, il a opposé avec succès à un des plus beaux discours de M. Guizot, l’a encore élevé plus haut dans l’opinion publique, et cela en fortifiant le ministère de M. Molé contre les sourdes défiances du centre droit. Nous n’approuvons pas indistinctement tout ce que M. Thiers a fait depuis cette époque. Par exemple, il aurait pu, et nous avons regretté qu’il ne l’ait pas voulu, il aurait pu changer en triomphe la défaite essuyée par le ministère, en 1838, sur la question des chemins de fer. Son opinion n’était pas douteuse. Amis et ennemis savaient qu’à ses yeux l’état pouvait seul exécuter bien et sûrement ces grands travaux, dont il comprenait parfaitement le caractère politique. Il aurait donc pu, en cette circonstance, prêter son appui au cabinet du 15 avril, au lieu de prendre sa part dans ce déplorable résultat négatif auquel est venue aboutir la prolixe et fastidieuse dissertation de M. Arago, combinée avec la douteuse éloquence de M. Berryer. Nous avons alors blâmé M. Thiers de ne pas avoir senti qu’il y avait là, pour l’homme d’état qui avait fait voter à la chambre des députés cent millions de travaux publics, un beau rôle à jouer, et une gloire certaine à recueillir, bien préférable à la satisfaction d’humilier un cabinet. Mais quand bien