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REVUE. — CHRONIQUE.

leurs amis. On voit que M. Charles Dupin a fort bien fait de prendre ses sûretés avant que son illustre aîné ne fût élevé au ministère.

Mais quittons un instant M. Dupin, et voyons combien les autres candidats au ministère avaient subi ou prononcé d’exclusions, exercé de veto, élevé d’impossibilités du même genre. D’abord, c’est M. Odilon Barrot, qui, à l’époque où M. Guizot le portait, sans faire d’objection, à la présidence de la chambre, ne veut pas que M. Guizot soit ministre de l’intérieur. En vain M. Thiers s’efforça-t-il de concilier cette première dissidence entre les chefs de la coalition victorieuse. Tous ses efforts échouèrent contre l’obstination de l’un à ne vouloir entrer dans le nouveau cabinet que comme ministre de l’intérieur, et contre celle de l’autre à ne concéder aux doctrinaires rien de plus que les finances et le ministère de l’instruction publique. Puis, M. Odilon Barrot se ravise : il fait à M. Guizot la concession d’abord refusée ; mais la situation était changée, la brèche s’était élargie. Déjà M. Guizot, moins fier de sa victoire, moins sûr de son avenir personnel, cherchait timidement à regagner la confiance du parti conservateur : il fallait lui sacrifier la présidence de M. Odilon Barrot. M. Guizot, accepté alors comme ministre de l’intérieur par le chef de la gauche dynastique, ne voulut plus faire de la présidence de M. Barrot une question de cabinet, lui qui, dans la discussion de l’adresse, avait solennellement amnistié son éloquent adversaire, devenu son allié. Ce n’est pas tout. Pendant quelques jours, le maréchal Soult a positivement exclus M. Thiers, déclaré qu’il ne pourrait siéger avec lui dans le même cabinet, et travaillé néanmoins à composer un ministère de coalition, dont n’aurait pas fait partie l’homme le plus important de la coalition, celui qui en était le centre, et sans lequel la coalition ne se serait pas organisée. Plus tard, le maréchal Soult, qui avait accepté ou formé lui-même un ministère centre gauche pur, a exigé M. Guizot et M. Duchâtel. Celui-ci n’a pas voulu entrer sans M. Guizot dans la dernière combinaison, celle qui a été rompue par un caprice de M. Dupin, et son exemple a été suivi par M. Cunin-Gridaine, homme du centre gauche rallié à M. Molé, qui aurait signé des deux mains le programme de M. Thiers, mais qui n’a pas voulu concourir à son exécution et répondre à l’idée conciliatrice qui l’avait fait appeler au partage du pouvoir. Enfin M. Teste a cru que ses relations avec le maréchal Soult ne lui permettaient pas de s’associer à un cabinet dont le maréchal avait refusé la présidence.

Quelques-uns de ces refus s’expliquent sans doute par des scrupules honorables, et puisqu’il s’agit d’hommes sérieux, tous ont des motifs sérieux, nous aimons à le croire. Cependant, si l’on réfléchit que la situation est très grave, que la reconstitution d’une majorité de gouvernement est très difficile, qu’après une secousse aussi rude il faut réunir au lieu de diviser, on trouvera peut-être que les hommes politiques appelés à terminer la crise n’y ont pas mis toute l’abnégation d’intérêt personnel ou d’amour-propre que réclamaient les circonstances. Nous ne saurions donc approuver la résolution prise par M. Duchâtel et par M. Cunin-Gridaine de ne point entrer dans le ministère centre gauche, dont les chefs ne leur demandaient pas une défection, mais leur offraient comme