Page:Revue des Deux Mondes - 1839 - tome 18.djvu/426

Cette page a été validée par deux contributeurs.
422
REVUE DES DEUX MONDES.

bien je t’ai calomniée autrefois, lorsque j’ai douté de ton intelligence ! combien j’ai été fou moi-même de me défendre de l’émotion que ta beauté m’inspirait ! C’était une pensée sacrilége que de ne pas croire l’existence d’une telle beauté extérieure liée à celle d’une beauté intellectuelle aussi parfaite ! Hélène, les sons puissans que tu viens de me faire entendre ont ouvert mon ame aux harmonies du monde supérieur. Je sens que tu célèbres les feux d’un amour divin, et cet amour pénètre mon sein d’une espérance délicieuse. Écoute-moi, Hélène ! je veux te dire que je t’aime, que je te comprends, et que mon amour est enfin digne de toi ! Écoute-moi, car l’ame est une lyre, et comme tu as fait vibrer celle-ci par ton souffle, tu as éveillé par ton regard une harmonie cachée au fond de mon être…

(Il s’agenouille auprès d’Hélène, qui le regarde avec surprise.)
l’esprit de la lyre.

Hélène ! Hélène ! un esprit puissant te parle, un esprit lié encore à la vie humaine, mais dont l’essor mesure déjà le ciel ! un esprit de méditation, d’analyse et de connaissance… Hélène ! Hélène ! ne l’écoute pas, car il n’est pas, comme toi, enfant de la lyre !… Il est grand, il est juste, il est dans la lumière et dans l’espérance ; mais il n’a pas encore vécu dans l’amour que célèbre la corde d’airain. Il a trop aimé les hommes, ses frères, pour s’absorber en toi. Hélène ! Hélène ! ne l’écoute pas ! crains le langage de la sagesse. Tu n’as pas besoin de sagesse, ô fille de la lyre ! tu n’as besoin que d’amour. Écoute la voix qui chante l’amour, et non pas la voix qui l’explique.

albertus.

Écoute, écoute, ô Hélène ! Quoique fille de la poésie, tu dois entendre ma voix ; car ma voix vient du fond de mon cœur, et l’amour vrai ne peut manquer de poésie, quelque austère que soit son langage. Laisse-moi te dire, ô jeune fille ! que mon cœur te désire, et que mon intelligence a besoin de la tienne. L’homme seul est incomplet. Il n’est vraiment homme que lorsque sa pensée a fécondé une ame en communion avec la sienne. N’aie plus peur de ton maître, ô ma chère Hélène ! Le maître veut devenir ton disciple, et apprendre de toi les secrets du ciel. Les desseins de Dieu sont profonds, et l’homme n’y peut être initié que par l’amour. Toi qui chantais hier d’une voix si déchirante les crimes et les infortunes de l’humanité, tu sais que l’humanité aveugle et déréglée erre sur le limon de la terre comme un troupeau sans pasteur ; tu sais qu’elle a perdu le respect de son ancienne loi ; tu sais qu’elle a méconnu l’amour et souillé