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LES SEPT CORDES DE LA LYRE.

albertus.

Gardez votre science maudite ; elle ne m’a causé que trouble et désespoir.

méphistophélès.

Je m’étonne qu’un aussi grand philosophe se décourage pour un peu de souffrance. N’enseignez-vous pas tous les jours en chaire qu’il faut beaucoup souffrir pour arriver à la vérité ? qu’on ne saurait payer trop cher la conquête de la vérité ? que la vérité ne s’achète qu’au prix de nos sueurs, de nos larmes, de notre sang même ?…

albertus.

J’ai déjà beaucoup souffert depuis que je vous écoute, et, loin d’être arrivé à la vérité, il me semble que j’en suis plus éloigné que jamais. Le délire d’Hélène augmente, et rien ne m’explique les propriétés sympathiques de la lyre.

méphistophélès.

Permettez. D’abord le délire d’Hélène n’augmente pas. Hier, toute la journée, après sa promenade au bord de l’eau, elle a été pleine de raison.

albertus.

Il est vrai que son délire n’a commencé qu’au moment où je lui ai refusé la lyre. Alors elle s’est enfuie de la maison, et je n’ai pu la rejoindre qu’au sommet de la grande tour.

méphistophélès.

Aussi pourquoi vouliez-vous l’empêcher de faire résonner la lyre ?

albertus.

Je craignais ce qui est arrivé. En la voyant si sensée et suivant avec tant de clarté une leçon assez abstraite que je venais de lui donner, je me flattais de la voir guérie, et j’aurais voulu que la lyre fût anéantie ; car, n’en doutez pas, tout son délire vient de cet instrument.

méphistophélès.

Sans aucun doute. Vous avez toujours pris pour un conte, pour une rêverie du vieux Meinbaker, un fait très certain. Le premier accès de folie d’Hélène et la longue maladie qui en fut la suite n’eurent pas d’autre cause qu’un attouchement à la lyre.

albertus.

Le fait est bien constaté pour moi aujourd’hui. Mais qu’il reste à l’état de prodige ! je ne m’en tourmenterai plus. Hélène pouvait périr victime de ma curiosité. Dieu merci ! elle a échappé aujourd’hui