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nous ne voyions plus que des habitations éparses ou des hameaux avec une pauvre église en bois, et tout à coup nous apercevons les quatre clochers de Tornea, suivis de cinq moulins à vent. Il y avait long-temps que nous ne voyions rien que des bouleaux chétifs, ou des tiges de sapins, et sur le bord du fleuve nous trouvons des massifs d’arbres tout verts encore et des sorbiers chargés de grappes rouges.

Haparanda est, d’ailleurs, une jolie ville située au bord d’une large baie, une ville peu étendue, il est vrai, mais qui, chaque année, s’agrandit et tend sans cesse à s’agrandir davantage. Dans l’espace de six mois, sa population a presque doublé, et son commerce a pris un développement considérable. C’est de là qu’on envoie à Stockholm des navires chargés de beurre, de peaux, de goudron, et c’est là qu’on apporte un grand nombre de denrées qui doivent ensuite se répandre dans les provinces les plus reculées. Il y a là un bureau de poste important qui sert de communication entre le sud et le nord. Les lettres arrivent deux fois par semaine à Haparanda, et partent tous les quinze jours pour les limites septentrionales de la Nordbothnie, tous les mois pour les paroisses laponnes et le Finmark. En 1833, le gouvernement a fondé dans cette ville une école élémentaire où l’on enseigne la géographie, l’histoire, le français, l’allemand. On y compte une trentaine d’élèves.

En face de Haparanda est la vieille cité de Tornea, bâtie sur une île, séparée de la terre suédoise, ici par les eaux de la baie, là par un étroit ruisseau qui souvent se dessèche en été. D’après les règles adoptées pour la délimitation des deux pays, en 1809, Tornea devait appartenir à la Suède, car cette ville est plus près de la rive droite du fleuve que de la rive gauche. D’un côté la force ou la supercherie, de l’autre la faiblesse, en ont fait une ville russe, et cette transaction causera sa ruine. Au moment même où Tornea fut réunie à la Russie, ses plus riches négocians partirent avec leurs marchandises. Il n’y reste plus aujourd’hui que des négocians de second ordre, dont les opérations commerciales sont, comme par le passé, toutes concentrées en Suède, mais qui, en leur qualité de Russes, ne peuvent les continuer sans payer des droits considérables. Ainsi la lutte n’est plus égale. Haparanda, favorisée par sa situation, soutenue par ses priviléges de ville suédoise, se développe, s’enrichit, et Tornea décline. Déjà cette ville n’est plus que le simulacre de ce qu’elle a été. Ses places publiques sont mornes et silencieuses ; ses maisons, dépeuplées, tombent en ruines, et l’herbe croît dans ses rues. Il y a pourtant ici cinq cent cinquante habitans. Il n’y en a guère que trois cents à Haparanda. Il y a à Tornea une église finlandaise, une église suédoise et une église russe, quatorze marchands et une garnison de vingt Cosaques. Il n’y a à Haparanda qu’une seule église et neuf marchands, et l’aspect de ces deux villes diffère complètement. L’une est muette et sombre, l’autre riante et animée. L’une est comme le tombeau d’une vieille génération, l’autre comme le point central d’une race jeune et active.

Le 17 septembre, nous nous remîmes en route. Nous avions en vain cherché