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faire un pont pour aller d’une rive à l’autre ; ceux-là, par les sorciers, qui voulaient entraver les voyages du pêcheur, et tout cela forme une poésie féconde, variée, non écrite, mais vivant dans la mémoire de tous les paysans de la côte, et se perpétuant dans tous les contes du soir.

Depuis 1809, le fleuve Muonio sert de limite aux deux nations. La partie droite appartient à la Suède, la partie gauche à la Russie. Les habitans de l’une et de l’autre rive sont tous Finlandais. Ils ont vécu autrefois ensemble dans des relations journalières ; ils appartenaient à la même communauté, ils avaient les mêmes lois et les mêmes intérêts. Maintenant la politique a divisé cette vieille tribu, et le fleuve, qui réunissait autrefois les hommes d’une même race, est devenu, pour eux, une barrière, une ligne de démarcation. Mais les habitudes du passé et les liens du cœur l’emportent sur les contrats de la diplomatie. Le traité de 1809, conclu par la force du sabre, écrit avec la pointe d’une baïonnette, ce traité n’a pu anéantir en un jour tant de souvenirs enracinés dans le cœur de la nation finlandaise, tant d’affections particulières, tant d’alliances de famille. Les colons des deux rives du Muonio vivent ensemble comme par le passé. Ils parlent la même langue, se servent de la même monnaie, et partagent les mêmes affections. La Russie a suivi, à l’égard de la Finlande, la politique dont la Prusse lui avait donné l’exemple à l’égard des provinces rhénanes. Elle lui a laissé une partie de ses lois et de ses institutions. Cependant elle s’efforce, par tous les moyens possibles, d’effacer peu à peu dans ce pays les souvenirs suédois, et d’y introduire un nouvel esprit et une nouvelle prépondérance. Ainsi, elle a commencé par transférer à Helsingfors l’université d’Abo, qui, par son voisinage de la Suède, par ses traditions, devait subir l’influence de Stockholm plus que celle de Saint-Pétersbourg. Elle a créé dans cette université une chaire de littérature russe, et dès maintenant, tous les Finlandais qui aspirent à exercer une fonction publique, doivent présenter un certificat constatant qu’ils savent la langue russe. Elle a essayé de se faire aimer en diminuant les impôts, en accordant au peuple une constitution semi-libérale et semi-despotique. Enfin, elle a placé à la tête de cette contrée, enclavée aujourd’hui dans l’empire sous le titre de grande principauté de Finlande, un gouverneur-général et un sénat, dont tous les membres, nommés par l’empereur[1], tendent sans cesse à consolider la domination russe.

Sous le point de vue purement financier, la possession de la Finlande ne présente certes aucun avantage à la Russie. On peut même dire sans exagération et démontrer par des chiffres qu’elle lui coûte plus qu’elle ne lui rapporte. Mais, sous le rapport politique, c’est une conquête inappréciable. Elle arrondit ses frontières, elle lui livre le golfe de Bothnie, et lui ouvre l’entrée des royaumes scandinaves. Il suffit de jeter un coup d’œil sur la carte pour voir combien il importait à la Russie de s’adjoindre cette vaste

  1. Reglemente foer Regerings-Conseilen i Finland.