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toujours tirer et quelquefois créer : je ne fais que rappeler le Vous mentez ! le Et vous avez raison ! L’accent de la grande actrice ne sauve pas toujours certaines ingénuités un peu maniérées dans le langage. En un mot, on applaudit ce rôle pathétique, mais on n’y pleure pas un seul instant.

Le drame moderne reprend sa revanche et domine au cinquième acte : la lutte, encore une fois violente, entre Mlle de Belle-Isle dégagée de son serment, et le chevalier qui se croit éclairé trop tard, n’est adoucie que par l’approche du dénouement bien prévu, et par l’idée qu’il est impossible que la catastrophe ait lieu désormais. Le duc accourt à temps pour relever le chevalier de sa parole ; celui-ci ne dément pas son caractère solennel et achève de se poser dans ce dernier mot : « Mlle de Belle-Isle, ma femme ! — M. de Richelieu, mon meilleur ami ! » Le duc, tout ému qu’il est lui-même en ce moment, a dû sourire à ce brevet de meilleur ami qui lui tombe dans une bénédiction nuptiale ; peut-être y aurait-il un petit acte purement comique à ajouter au drame : Deux Ans après.

Quoi qu’il en soit de toutes ces remarques du lendemain, la soirée de Mlle de Belle-Isle a été brillante ; succès facile, amusant et mérité d’un talent spirituel et chaleureux, qui a d’heureux coups de main à la scène, qui égale quelquefois ses imprudences par ses ressources, et qui, dans ses quinzaines bigarrées, s’il compromet aisément un triomphe par des échecs, peut réparer ceux-ci non moins lestement par des revanches. Faisons comme Richelieu dans cette partie de dés qu’il joue avec d’Aubigny ; ne nous souvenons que du coup que l’aventureux joueur a gagné.

Voilà dix ans à peu près qu’Henri III a paru, et que les premières promesses du drame moderne ont brillamment et bruyamment éclaté. À entendre nos espérances d’alors, il semblait que, pour l’entier triomphe d’un genre plus vrai et des jeunes talens qui s’y sentaient appelés, il ne manquât qu’un peu de liberté à la scène et de laisser-faire. Le laisser-faire est venu : après dix années, non plus de tâtonnemens et d’essais, mais d’excès en tous sens et de débordemens, on est trop heureux de retrouver quelque chose qui rappelle le premier jour, et qui délasse un peu à tout prix. Oh ! que le rôle serait beau pour un auteur dramatique qui le comprendrait et qui aurait en lui la veine ! Le public est si las ; il serait si reconnaissant d’être tant soit peu amusé ou touché ; il donnerait si volontiers les mains à son plaisir !


V. de Mars